Taïwan ou l’invention d’une culture cycliste
Il
y a quelques années encore, Taïwan produisait la plupart des vélos vendus en Europe et dans le monde. Des fabricants de vélos dont Giant et Merida ainsi que des équipementiers, sont originaires de l’île, parfois surnommée le « bicycle kingdom ». Aujourd’hui Giant reste omniprésent mais la production de cycles et d’équipements a été délocalisée en Chine.
S’ils ont beaucoup fabriqué de vélos, les Taïwanais ne sont majoritairement pas cyclistes. Comme ailleurs en Asie du Sud-Est, c’est le scooter qui prédomine (15,4 millions pour 22,7 millions d’habitants) talonné par la voiture (5,1 millions). Les villes sont polluées, bruyantes et le stationnement des véhicules motorisés en tous genres empiète très largement sur l’espace laissé aux piétons. Les taux de pollution aux particules fines inquiètent régulièrement les autorités sanitaires.
Ces constats ont incité les derniers gouvernements à faire des annonces en faveur du développement d’infrastructures dédiées au vélo et à promouvoir l’idée d’un Taïwan « pays du vélo » ou du moins, pays cyclable. Le kilométrage de pistes cyclables est passé de 700 km en 2008 à plus de 4000 km en 2014. Le tour de l’île complet en aménagements cyclables sécurisés doit être bouclé en 2015 après avoir été repoussé plusieurs fois.
Un développement du vélo dédié d’abord au tourisme
Arrivé a l’aéroport de Taipei, le cycliste étranger est accueilli par une publicité évocatrice : « Time for two Wheels ». Le pays se vend a l’étranger comme une terre particulièrement favorable à la pratique du vélo, de loisir et sportif, mais pas vraiment au vélo du quotidien.
Deux films parus il y a quelques années : « Island Etude » et « The Road in the air », ont donné envie aux Taïwanais de faire du vélo. Le premier raconte le périple solitaire d’un jeune étudiant sourd, qui traverse le pays à vélo avec sa guitare, à la rencontre de son pays et de ses habitants. Le deuxième est qualifié de « premier Road movie taïwanais », la rencontre insolite entre un jeune homme fugueur et un policier démissionnaire. Ces deux films ont lancé un engouement pour le voyage à vélo sur l’île. Aujourd’hui, l’effet de mode est un peu passé mais les Taïwanais restent nombreux à partir en périple cycliste.
L’omniprésent Giant propose d’ailleurs tout au long de l’île de louer à des tarifs raisonnables des vélos de route ou de montagne qui peuvent être rapportés chez n’importe quel autre loueur de la marque. On peut donc prévoir un voyage en évitant les boucles ou de rapporter le vélo en train a la fin de son périple.
Les Taïwanais aiment le vélo. et beaucoup d’entre eux le pratiquent de préférence en groupe. Les principales associations cyclistes comme la « Formosas Lohas cycling association » proposent des excursions en groupe, accompagnés par un moniteur. Leurs itinéraires permettent de sortir des grandes routes et de découvrir d’autres itinéraires cyclables.
Certaines réalisations cyclables, comme la traversée de l’ancien tunnel ferroviaire de Caoling ou le tour du Sun Moon Lake sont particulièrement appréciées et prises d’assaut par les Taïwanais le week-end. Dans les parcs le week-end, les cyclistes sont partout, femmes et hommes de toutes générations.
Le Gouvernement a commandé une cartographie des aménagements cyclables pour les promouvoir à l’étranger et réalise cette année un top dix des meilleurs aménagements cyclables dont les résultats devraient être publiés prochainement.
Enfin, il existe plusieurs grands événements consacrés à la pratique du vélo de loisirs: Le Formosa 900 [km] (un tour de l’île par équipes), le Come Bikeday et le Taiwan cycling festival, permettant aux taïwanais de se réunir pour célébrer la pratique du vélo sportif.
Le vélo urbain se fait attendre
A l’inverse des coûteux VTT et vélos de route que les Taïwanais affectionnent pour leurs loisirs, les vélos urbains sont encore inexistants. Le principal revendeur de vélos de moyenne et haut de gamme du pays (Giant) ne propose pas de vélos urbains dans son catalogue, preuve que la pratique n’est pas encore prise au sérieux. Les vélos que l’on peut voir stationnés dans les rues sont en très mauvais état et de mauvaise qualité. La vitesse des cyclistes ne dépasse souvent pas les 14 km/h. Les vendeurs de cycles proposent des modèles de piètre qualité pour l’équivalent de 70-100 euros. Ce sont les mêmes vélos que l’on retrouve ensuite rouillés ou a l’état d’épaves dans les rues des villes.
Les aménagements cyclables urbains ont été conçus sans empiéter sur l’espace dédié à la circulation des voitures et des scooters et sont par conséquent inutilisables. Le cycliste doit partager avec les piétons les trottoirs, déjà très encombrés par les commerces et les scooters stationnés. De fait, ces voies cyclables sont neutralisées la plupart du temps. Il faut en plus compter avec des feux de circulation qui sont réglés pour la route.
La capitale, Taipei, dispose pourtant d’un excellent réseau de pistes cyclables sur berges. Une dizaine de ponts sont strictement réservés aux cyclistes et piétons pour leur permettre de franchir la circulation ou les fleuves.
Construit sur le modèle « build and the cyclists will come », ce réseau souffre encore d’une très mauvaise interconnexion avec le reste de la ville, d’accès au centre ville trop peu fréquents et d’une difficile intégration dans la circulation. Situées loin du tumulte de la circulation, dans des parcs avec vue sur les fleuves de Taipei, ces pistes sont idylliques pour un usage de loisir. Le week-end, elles sont bondées.
La criminalité, quasi absente du pays, rend le stockage des vélos dans la rue très sûr. La plupart des vélos taïwanais sont accrochés avec des cadenas légers, de type tortillon, qui feraient pâle figure en Europe. Alors qu ‘un taux de vol élevé constitue un frein majeur à la pratique du vélo, les Taïwanais peuvent garer leur monture dans la rue sans risque de se la faire subtiliser, un argument qui ne semble pas encore les convaincre.
Le vélo en libre service est présent dans les principales villes taïwanaises. Son succès a tardé à venir. Des améliorations dans l’accès au service, via une carte de paiement sans contact (« easycard), qui peut être utilisée également dans les transports en commun, et une bonne interconnexion avec le réseau de transports en commun, ont permis au service de trouver son public. A Taipei, chaque Youbike est aujourd’hui emprunté une douzaine de fois par jour, un succès quasi unique au monde. Mais le Vélo en libre-service n’a pas entraîné une augmentation conséquente de la pratique cycliste au quotidien, comme ce fut le cas pour certaines villes européennes. Le manque de pistes cyclables adaptées et le faible taux de cyclistes avant le lancement du service peuvent expliquer en partie que les utilisateurs de Youbike n’aient pas contribué à renforcer la part modale du vélo.
Les quelques cyclistes du quotidien que l’on peut croiser sont principalement des personnes âgées, trop pauvres pour se déplacer en scooter, qui se servent du vélo pour déplacer leur barda. On peut également croiser quelques irréductibles qui vont au travail à vélo mais une part non négligeable d’entre eux sont des expatriés occidentaux, déjà cyclistes expérimentés avant d’arriver sur le sol taïwanais. Par ailleurs, quelques boutiques commencent à proposer des vélos plus originaux dédiés à une pratique urbaine mais on est encore loin de l’engouement européen ou américain pour le pignon fixe, les vélos hollandais, cargos, triporteurs, etc.
Conscient de la nécessité de développer le vélo en tant que mode de transport et non comme un seul loisir, le maire de Taipei a annoncé un plan en faveur du vélo.
Un citoyen s’est également emparé de la question en proposant notamment de convertir une des innombrables autoroutes suspendues en parc urbain, avec piste cyclable bien évidemment. Le projet est actuellement à l’étude par la commission des transports et permettra peut-être à la ville de développer des infrastructures cyclables dédiées aux déplacements du quotidien et non au seul loisir.
Taïwan sur la scène cycliste internationale
Ces dernières années, Taiwan cherche donc à devenir le bon élève du cyclisme et à donner une visibilité internationale à ses récents progrès en matière de politique cyclable. Taipei accueille chaque année le Taipei International Cycle Show, une foire internationale d’équipements vélo. Elle a également en 2015 hébergé le Asian Cycling Forum, réunissant des acteurs du monde du vélo venus de toute l’Asie pour présenter leurs avancées respectives.
En février 2016, la ville accueille la conférence internationale Velo-city 2016, une façon pour Taipei de se lancer définitivement sur ses deux roues…
Article rédigé en 2015, dans le cadre d’un stage effectué à Taïwan
Crédits photos: A. Synaptics – synapticism.com; Dr. Wayne Gao et Mme Zoé Piazza dans : » Sky has no limits transforming an elevated road into a sky garden « ; Photo de couverture: Chris Yang