« Dériver » comme un outil pour explorer la situation des piétons
« Dériver »
comme un outil pour explorer la situation des piétons
La marche comme un mode à part entière
Bien que reconnus comme les modes de transport les plus utilisés dans la plupart des villes du Sud, les modes actifs sont souvent oubliés ou négligés dans la planification de la mobilité urbaine. Voitures privés, bus, métros et tramways occupent une place plus importante dans l’imaginaire actuel des décideurs. Les investissements en infrastructures pour ces modes en témoignent. Cependant, les modes actifs (la marche, le vélo ou autres) continuent à assurer les pourcentages les plus importants des déplacements quotidiens.
Les déplacements utilisant des modes actifs se trouvent donc dans une situation peu enviable : en assurant de plus en plus de déplacements, ils ne bénéficient pas d’une planification adéquate des infrastructures – exclusives ou non – dont ils ont besoin. De plus, la composante culturelle dans certaines villes veut que ces modes soient perçus comme les modes des habitants ne pouvant pas accéder aux transports motorisés (privés ou publics), jouant donc de manière négative dans l’image de ces modes. Dans les villes du Sud, des situations d’infrastructures sont pointées du doigt pour expliquer les problèmes de la mobilité active : manque de trottoirs, manque de continuité des infrastructures, partage conflictuel de vitesses, entre autres. De ces grandes lignes en découlent plusieurs situations qui exacerbent les difficultés de marcher ou de faire du vélo dans des conditions pareilles. Mais, les descriptions restent souvent très générales et ne montrent pas de façon concrète ce que les piétons et les usagers de vélo doivent subir quotidiennement.
Ville | Pays | Part modale MARCHE (tous déplacements) |
Année | Source |
AFRIQUE SUBSAHARIENNE | ||||
Bamako | Mali | 57% | 1993 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
Conakry | Guinée | 74% | 2003 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
Dakar | Sénégal | 74% | 2000 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
Douala | Cameroun | 62% | 2003 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
Niamey | Niger | 69% | 1996 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
Ouagadougou | Burkina Faso | 42% | 1992 | Diaz Olvera, Plat & Pochet 2008 |
AMERIQUE DU SUD | ||||
Bogota | Colombie | 23% | c2013 | CAF 2015 |
Buenos Aires | Argentine | 16% | c2013 | CAF 2015 |
Caracas | Venezuela | 15% | c2013 | CAF 2015 |
Curitiba | Brésil | 34% | c2013 | CAF 2015 |
Lima | Pérou | 24% | c2013 | CAF 2015 |
Montevideo | Uruguay | 11% | c2013 | CAF 2015 |
Quito | Equateur | 18% | c2013 | CAF 2015 |
Rio de Janeiro | Brésil | 30% | c2013 | CAF 2015 |
Santa Cruz | Bolivie | 26% | c2013 | CAF 2015 |
Santiago | Chili | 17% | c2013 | CAF 2015 |
Sao Paulo | Brésil | 34% | c2013 | CAF 2015 |
AMERIQUE DU NORD ET CARAÏBES | ||||
Chicago | Etats Unis | 19% | 2008 | Chicago Met. Agency for Planning 2008 |
Mexico | Mexique | 20% | c2013 | CAF 2015 |
Montréal | Canada | 06% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
New York | Etats Unis | 39% | 2009 | New York City 2009 |
Panama | Panama | 11% | c2013 | CAF 2015 |
San José | Costa Rica | 17% | c2013 | CAF 2015 |
Toronto | Canada | 05% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
ASIE | ||||
Ahmedabad | Inde | 22% | 2008 | Ministry of Urban Development 2008 |
Bangalore | Inde | 26% | 2008 | Ministry of Urban Development 2008 |
Delhi | Inde | 21% | 2008 | Ministry of Urban Development 2008 |
Osaka | Japon | 27% | 2000 | Osaka Prefecture 2000 |
Pékin | Chine | 21% | 2011 | Beijing Yearbook 2011 |
Singapour | Singapour | 22% | 2011 | Land Transport Authority 2011 |
EUROPE | ||||
Amsterdam | Pays-Bas | 20% | 2008 | EPPOM, visité en 2016 |
Athènes | Grèce | 08% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
Barcelone | Espagne | 46% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
Berlin | Allemagne | 30% | 2008 | EPPOM, visité en 2016 |
Bruxelles | Belgique | 03% | 2008 | EPPOM, visité en 2016 |
Copenhague | Danemark | 17% | 2014 | EPPOM, visité en 2016 |
Lisbonne | Portugal | 16% | 2001 | EPPOM, visité en 2016 |
Londres | Royaume Uni | 20% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
Lyon | France | 34% | 2015 | EPPOM, visité en 2016 |
Paris | France | 47% | 2008 | EPPOM, visité en 2016 |
Stockholm | Suède | 17% | 2006 | EPPOM, visité en 2016 |
Turin | Italie | 07% | 2011 | EPPOM, visité en 2016 |
« Dériver » comme un outil d’exploration
Les outils pour décrire les problèmes de mobilité pour les piétons restent donc excessivement généraux et ils ne décrivent pas en détail les conditions des déplacements. Pour mieux comprendre la situation, il est nécessaire d’explorer la situation particulière de chaque ville. La « dérive », un concept issu des études urbaines de la moitié du XXème siècle, s’avère en principe utile pour comprendre les difficultés pour les piétons dans les villes du Sud, une par une. Cet outil ne cherche pas à généraliser une description mais plutôt à présenter une manière de lire une situation réelle et complexe.
La « théorie de la dérive urbaine » est à la base un outil pour connaître la ville ; elle a été développée par le Mouvement de l’International Situationniste qui, pendant la moitié du XXème siècle, s’opposait férocement aux méthodes de lecture du Mouvement Moderne. Cet outil cherchait à proposer une vision bien plus proche de l’individu, de l’habitant de la ville, sans perdre le but de devenir un outil générateur de connaissance de la ville. Loin d’être donc un outil fondé sur le hasard, la « dérive » établissait des règles préalables qui devaient être respectées pendant l’exercice. Entre ces règles, la taille de l’espace à explorer, le temps qui serait consacré et le nombre de personnes qui participeraient étaient des variables fixes de chaque initiative. L’objectif était d’établir un cadre suffisamment robuste pour garantir les observations les plus objectives possibles. Par la suite, une o plusieurs personnes réalisaient des déplacements dans le territoire urbain comportant un certain degré d’hasard – les dérives – et analysaient les résultats.
Guy Debord a écrit la « théorie de la dérive » en 1958. Dans ce – court – texte, il décrivait ce que la dérive pouvait être. Celle-là est tout d’abord une expérience ou un essai dans un contexte urbain ; il s’agissait donc de traverser plusieurs ambiances qui se succèdent dans un parcours urbain, se laissant attirer ou non par des références urbaines. Derrière cette expérience se cache l’idée de se déplacer en ville de façon différente à comment un individu le fait quotidiennement : les besoins de mobilité résidence-emploi ou résidence-commerce sont ainsi dépassés. La dérive serait donc un exercice urbain d’exploration visant à apercevoir la ville d’une autre manière.
Une expérience pilote pour réfléchir aux conditions pour les piétons
En empruntant et adaptant de façon limitée la « théorie de la dérive », un exercice a été proposé pour apporter un autre regard à la situation des piétons en ville, et notamment dans les villes où les infrastructures pour les modes actifs s’avèrent inadéquates. Sans autre but qu’une description ‘experte’ du manque de conditions favorables à la pratique de la marche, un premier exercice de « dérive » a été fait à Kochi, en Inde. Les règles de départ restaient basiques et ne cherchaient à aucun moment à généraliser les analyses qui en découlent de l’exercice : deux participants, un trajet reliant une gare et une autre référence urbaine et une durée approximative entre deux et trois heures.
A partir d’observations et de ressentis pendant l’exercice, le binôme qui réalisait l’exercice devait essayer de rentrer dans la peau des piétons dans une ville où l’image de la marche – en tant que mode actif – est très différente de celle prônée par les responsables de villes européennes, par exemple. Entre malaise et confort, entre danger et sécurité, entre parcours hasardeux et flânerie, les observateurs cherchaient à montrer de façon concrète une problématique de planification de la mobilité qui reste beaucoup trop souvent en retrait. Si les conditions d’infrastructure sont le résultat direct des politiques de planification, les conditions d’infrastructures urbaines (et notamment celles qui sont construites principalement pour les piétons) montreraient donc un encouragement ou un dédain envers les investissements pour les piétons. De plus, l’utilisation adéquate ou non de ces mêmes infrastructures par les modes motorisés montrerait aussi les succès ou les échecs en termes de contrôle et de réglementation. Ainsi, à partir d’observations, les participants mettraient en avant problèmes et points forts des pratiques de planification et des habitudes actuelles.
L’exercice de « dérive » se propose donc comme un outil principalement descriptif pour une situation particulière, dans une certaine ville et sur un trajet singulier. Ces potentielles descriptions permettront, par la suite, réfléchir à la méthode de la « dérive », mais aussi à s’interroger sur les conditions pour les personnes qui sont contraintes de marcher dans des villes qui, par choix ou par besoin, négligent la mise en place de conditions adéquates pour encourager les déplacements piétons.
Le texte (en anglais) de l’exercice se trouve ici.