VISITE TECHNIQUE D’UNE DÉLÉGATION DE NAMATA AU CAP, AFRIQUE DU SUD
Notre coopération avec NaMATA, l’Autorité Organisatrice des Transports Urbains de Nairobi (Nairobi Metropolitan Area Transport Authority), se poursuit ! Une délégation kenyane composée de Mucemi Gakuru (Director Commuter Rail), John Githui (Director Projects and Programmes), Connie Ngachu (Director Legal services and Corporation Secretary) et de Dominic Omboto (Deputy Director Research and Strategy) s’est rendue au Cap, Afrique du Sud, du 19 au 24 février, accompagnée de la cheffe de projets Solène Baffi, et de la chargée de coopération Laure Lefébure.
L’objectif de la visite était de mieux comprendre les enjeux liés à la mise en place d’un réseau de transport de masse (BRT), d’apporter un nouveau regard sur la régulation et la professionnalisation du secteur du transport artisanal, et de bénéficier d’un retour d’expérience capétonien sur la contractualisation des exploitants, le modèle économique d’un BRT et la gouvernance des transports urbains.
Bénéficiant de plus de dix années d’expérience sur la mise en place de la première phase du BRT MyCiTi, inauguré en 2010 à l’occasion de la Coupe du Monde, les divers acteurs rencontrés ont pu venir nourrir les réflexions de l’équipe kenyane sur la mise en place d’un réseau de transport public à Nairobi, y compris son futur réseau de BRT. Parmi les intervenants rencontrés, nous avons pu échanger avec la mairie du Cap, l’opérateur historique Golden Arrow Bus Service, l’association de minibus Route 6, l’Université du Cap et divers experts indépendants, dont Gershwin Fortune et Philip Van Ryneveld. Nico McLachlan, co-fondateur d’Organisation Development Africa (ODA) et facilitateur impliqué dans la Phase 1 du BRT, nous a également accompagné pendant toute la semaine.
- Mise en place d’un réseau de transport de masse
La visite technique a commencé par une présentation du projet de BRT au Cap, avec un retour sur les grandes étapes de la planification et les principes d’exploitation, ainsi que des leçons clés à en tirer par Gershwin Fortune, expert transport urbain et animateur du groupe de travail sur le transport informel de l’UITP. Gershwin, accompagné de Nico McLachlan, est revenu sur l’importance de penser la mobilité en système, en y incluant l’ensemble des modes de transport et en la pensant non pas seulement en termes d’infrastructures et de technologie, mais également en termes de politique, de gouvernance, de jeux d’acteurs (accompagner le secteur existant), économiques (modèles économiques) et de contractualisation (passation de marché et gestion des contrats). L’après-midi a été dédiée à la visite du BRT MyCiTi, commentée par Nico McLachlan, l’occasion d’observer les services proposés (feeder et trunk), les technologies déployées (billettique et information passager) et les pratiques des passagers.
Cette introduction a été complétée par une discussion avec les équipes du Urban Mobility Directorate de la ville du Cap le mercredi 22 février, dont l’objet était notamment de présenter leur vision stratégique de la mobilité, qui repose sur le concept de Transit Oriented Development, de revenir sur les leçons à retenir de la Phase 1 du BRT (intégration du transport artisanal, évolution de la gouvernance, viabilité financière, contractualisation, planification, système billettique), et de présenter les caractéristiques de la Phase 2A, instruites par les retours d’expérience de la Phase 1.
- Contractualisation et exploitation du réseau de mobilité
Les enjeux de contractualisation et d’exploitation ont été abordés dans un premier temps le mardi 21 février, avec Route 6, l’une des associations de minibus les plus importantes de Mitchell’s Plain, également impliquée dans l’exploitation de MyCiTi, et François Meyer, Directeur Général de Golden Arrow Bus Service, opérateur historique de bus et co-exploitant du BRT MyCiTi. Celui-ci est revenu sur les deux modèles de contractualisation actuellement en vigueur – réseau MyCiTi et réseau de bus GABS, tous deux subventionnés -, en mettant notamment l’accent sur le besoin d’une allocation des risques équilibrée entre opérateur et autorité. Il a insisté sur l’importance pour une AOM d’apprendre des opérateurs, dont la connaissance fine du terrain peut informer les décisions de l’autorité. Le DG a également présenté le programme de formation professionnelle mis en œuvre par Golden Arrow, dont le sujet est particulièrement d’actualité pour NaMATA.
La municipalité a également présenté l’évolution du modèle contractuel entre la phase 1 et la phase 2A, en particulier concernant le secteur des minibus : si l’autorité avait opté pour une approche de remplacement intégral des minibus par des services de rabattement institutionnalisés, accompagné par un schéma de compensation coûteux, elle souhaite désormais adopter une solution où le secteur des minibus, organisé en entreprises, aura la charge de ces services.
- Transformation du secteur du transport artisanal
Les discussions avec M. Hawk Williams, président de Route 6, et ses équipes, ont commencé par une visite du pôle d’échange de Mitchell’s Plain, regroupant une gare de BRT, une desserte ferroviaire, un arrêt de bus Golden Arrow et une gare de minibus. Nous avons pu discuter du processus d’intégration des associations de minibus aux opérations du réseau de BRT. L’accent a été porté sur l’importance de considérer le secteur du transport artisanal comme un mode de transport à part entière, complémentaire et non compétitif du BRT, qu’une autorité doit accompagner dans sa transformation vers un système plus durable.
Les intervenants ont souligné la pertinence du programme de professionnalisation mis en place pour doter les acteurs du transport artisanal des capacités nécessaires pour exploiter un BRT. Une autre initiative innovante a été présentée par la ville du Cap et Nico McLachlan, à savoir le programme pilote 7th Avenue, qui visait à formaliser 26 associations de minibus en une Transport Operating Compagny. Si ce projet pilote a depuis été stoppé, il a toutefois permis de démontrer les bénéfices d’une approche collective sur la rentabilité financière du système, la qualité de l’offre de service et les conditions de travail des employés.
La question de la mutualisation des ressources pour les opérateurs du transport artisanal demeure aujourd’hui centrale, en particulier pour le renouvellement de la flotte. En effet, avec des taux d’emprunt bancaires s’élevant aujourd’hui à près de 25%, le modèle économique du secteur demeure largement contraint. Aussi, la formalisation des exploitants à travers des Transport Operating Company pourrait également avoir comme objectif de faire baisser ces taux.
Ces échanges riches ont été l’occasion pour la délégation de mieux comprendre les motivations et besoins du secteur.
- Gouvernance et organisation interne
Les différents intervenants ont également initié une réflexion autour des enjeux de gouvernance des transports et de l’organisation interne d’une AOM. Selon Gerswhin Fortune, un dispositif institutionnel cohérent est vital au bon fonctionnement d’un système de transport public. Il recommande de répartir les fonctions stratégiques, tactiques et opérationnelles entre l’échelon national, local et opérateur respectivement, tout en créant un cadre politique et fiscal propice à un système de mobilité intégré, dans lequel les modes de transport ne sont pas en compétition.
En termes d’organisation interne d’une AOM, Gershwin Fortune a insisté sur l’importance d’avoir une unité dédiée BRT, plus efficace dans l’exécution des projets, et en complément du reste de la structure en charge des activités existantes et de la vision stratégique. Nico McLachlan a également rappelé qu’une structure est évolutive et peut s’adapter aux projets et à la stratégie adoptée.
Cette première discussion a été complétée par une présentation par la municipalité de son organigramme actuel pour comprendre comment celui-ci s’adapte à l’évolution du projet de BRT et à ses nouvelles Phases.
- Soutenabilité économique des transports publics
La visite technique était également l’occasion de comprendre les enjeux liés au modèle économique d’un BRT, le cas du réseau de MyCiTi pouvant fournir des informations quant à la stratégie à venir de NaMATA. Le BRT MyCiTi a la particularité de fonctionner grâce à des subventions publiques, tout comme les services de bus proposés par Golden Arrow, a contrario du secteur des minibus, non-subventionné. La mairie indiquait qu’aujourd’hui, le BRT a un taux de recouvrement des coûts à hauteur de 36%, et que malgré les subventions, elle prévoyait un déficit de 5.2% au cours des quinze prochaines années.
Ces premiers éléments ont été enrichi par un échange avec Philip Van Ryneveld, expert en financement et gouvernance des transport, et Roger Behrens, professeur à l’Université du Cap, le jeudi 23 février. Ils notaient l’influence fondamentale de la forme urbaine et des schémas de mobilité sur la santé financière d’un BRT – une ville dense, associée à des trajets de courte distance (modèle inverse de la ville du Cap), permet de générer des revenus passagers plus importants. Le type de subvention accordée est également important : des subventions de fonctionnement risquent d’encourager l’inertie ; celles-ci doivent idéalement servir d’investissement dans des solutions permettant d’optimiser la pérennité financière du système. Nico McLachlan a conclu cette session en rappelant les éléments clés du succès commercial d’un système de mobilité : une définition claire du rôle de l’autorité, l’intégration effective des acteurs de transport affectés, un modèle d’acquisition du matériel roulant pertinent et un modèle contractuel adapté au contexte local.
Enfin, les intervenants ont souligné la nécessité de construire un écosystème d’acteurs de la mobilité urbaine pour stimuler la mise en place de solutions innovantes, celle-ci reposant notamment sur des liens forts entre collectivité locale, opérateurs et experts du secteur, et instituts de recherche et de formation.
NaMATA et CODATU remercient chaleureusement l’ensemble des intervenants pour leur accueil et la qualité des échanges !