Acquisition de bus : entretien avec Mohsen Sabra, DG de Mwasalat Misr (Égypte)
L’acquisition de bus, une opération au service d’une vision : cas du développement d’une compagnie privée au Caire
Cet entretien a été réalisé le 11 février 2019 par Younes Aggoun, chargé de coopération CODATU en Égypte, dans le cadre de la « Communauté de Pratiques pour le Transport Urbain Durable en Méditerranée » du CMI. Cette communauté de pratique – animée par CODATU – a pour objectif de promouvoir l’apprentissage collaboratif concernant la mobilité urbaine durable dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
Mohsen Sabra est Directeur Général adjoint de la compagnie de bus privée Mwasalat Misr qui opère dans la région du Grand Caire, il a travaillé auparavant dans les forces aériennes égyptiennes dans plusieurs postes et départements: maintenance, affaires, recherche et développement. Avant de rejoindre Mwasalt Misr, il a travaillé pour Egypt Air en tant qu’ingénieur senior, puis pour Engineering Automotive Co. SMG Group en tant que responsable du développement commercial. Diplômé du Collège technique militaire, il est également titulaire d’un MBA de l’Académie Arabe des Sciences, de la Technologie et des Transports Maritimes.
CODATU : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter Mwasalt Misr et son positionnement dans le paysage du transport urbain par autobus au Caire ?
Mohsen Sabra : Avant de se nommer Mwasalt Misr, l’entreprise existait en 2011 sous le nom de la Compagnie Egyptienne pour le Transport (الشركة المصرية المتطورة للنقل). Elle a débuté par l’acquisition d’une compagnie d’exploitation au niveau de la ville du Caire qui s’appelait Entreprise du Caire pour le Transport Collectif. Puis, à l’occasion d’un second rachat d’une autre entreprise Mwasalt Misr s’est développée pour exploiter des lignes reliant le Caire aux villes nouvelles avec pour appellation à l’époque « Hiba pour le transport collectif ».
Aujourd’hui, il y a au total 17 entreprises privés[1] – dont 12 en activité- sous la tutelle du CTA (Cairo Transport Authority) pour la région du Grand Caire. La CTA est rattachée au gouvernorat du Caire et elle est à la fois régulateur et opérateur de bus dans cette région. Les opérateurs privés contractualisent ainsi avec la CTA pour exploiter les lignes mais aussi avec la NUCA (New Urban Communities Authority) qui est l’autorité responsable au niveau du territoire des nouvelles villes[2].
CODATU : Quelle a été la politique de développement et d’acquisition de bus de votre entreprise ?
Mohsen Sabra : Lors du rachat des compagnies citées précédemment, nous avons d’une part gardé la flotte existante, mais nous avions aussi une vision et une volonté de modernisation de la flotte. Le fondateur M. Taha Hisham, ingénieur IT de formation, voulait effectuer une transition des autobus dit « traditionnels » vers du matériel plus moderne et plus confortable. Nous avons ainsi lancé un projet « smart minibus » en 2012, qui avait pour objectif de mettre en service des minibus dotés d’équipement d’information voyageurs, système de billettique, wifi, auto tracking …etc.
En 2014, nous avons effectué une seconde opération d’acquisition de 125 bus et minibus dont 26 étaient équipés de climatisation. Une première sur le marché local.
Deux ans après, nous avons lancé notre propre appel d’offres international avec un cahier des charges rédigé en interne et qui a abouti à la sélection de deux constructeurs. L’achat de 236 autobus était prévu, mais après la dévaluation de la monnaie égyptienne en 2016, l’opération est devenue plus compliquée[3]. Le premier constructeur qui importait des châssis suédois ne pouvait plus supporter les nouveaux taux de change, et on a rompu le contrat à l’amiable. Le second constructeur qui fabriquait les bus localement n’a pas été impacté de la même manière et on a pu négocier une sensible augmentation de 8% pour maintenir le contrat. Aujourd’hui, nous maintenant notre objectif de 236 bus, cependant nous étalons cette opération sur une durée plus longue jusqu’à fin 2019.
CODATU : Avant cette dernière opération où vous avez rédigé votre propre cahier des charges, sur quelle base avez-vous procédé pour les opérations précédentes ?
Mohsen Sabra : Deux principaux facteurs conditionnent notre choix : d’abord les spécificités identifiées par le maître d’ouvrage, en l’occurrence la CTA pour le Caire élabore et nous transmets des conditions d’exploitation. Par exemple : type de carburant, Euro 3, nombre de sièges…etc. La NUCA avait exigé dans son appel d’offres des bus qui fonctionnent au gaz naturel, ce que nous avions précisé dans notre cahier des charges. Cependant, les coûts élevés n’ont pas permis de se les procurer, on s’est rabattu sur des Euro 3.
Le second facteur qui est important pour nous est le service après vente. Nous avons contracté avec des opérateurs expérimentés et implantés localement pour ne pas subir les difficultés que d’autres compagnies ont pu expérimenter par le passé ou actuellement.
CODATU : Sur ce point de maintenance, avez-vous eu des difficultés à la suite de vos acquisitions ?
Mohsen Sabra : Le premier achat de bus équipés de climatisation nous a permis de repérer quelques dysfonctionnements. Les moteurs – d’une puissance de 121 chevaux permettaient une climatisation de 18000 kcal/h – Ce qui était acceptable pour des autobus scolaires ou d’entreprises, mais insuffisantes pour le transport public dont les arrêts se trouvent tous les 800 mètres. L’ouverture/fermeture répétée des portes faisait que la climatisation était consommatrice d’énergie et peu performante. Nous avons ainsi revu les caractéristiques à la hausse pour nos prochaines acquisitions (164 chevaux et une climatisation à 122 000 kcal/h) en espérant atteindre de meilleures performances.
Pour les pièces de rechange, nous avons exigé de nos fournisseurs une garantie de disponibilité de 10 ans. Actuellement, nous effectuons la maintenance en régie, mais nous réfléchissons à déléguer à moyen terme la maintenance aux fournisseurs lui-même.
Enfin, lorsque la flotte pourra atteindre environ 500 véhicules, nous envisageons de créer une entreprise à part pour la maintenance. Cela a été le cas pour les équipements numériques installés dans nos bus : une entreprise spécialisée est actuellement opérationnelle et c’est un bon indicateur de performance pour notre travail.
[1] Regroupées sous le nom d’Entreprises spécialisées dans la fourniture de services de transport en commun.
[2] En plus des autorités de chaque nouvelle ville et du Gouvernorat, le Ministère du transport est lui responsable des axes routiers entre le Caire et les nouvelles villes. Cette fragmentation cause aujourd’hui certaines complications dans les procédures et c’est pourquoi ces entreprises privées du transport en commun plaident pour la mise en application d’une loi sur la mise en place d’une autorité régulatrice unique.
[3] Dévaluation au départ de 47,7 %, faisant passer la valeur d’un dollar de 8.8 LE à 13 LE en 2016. Même au niveau du financement, les banques qui faisaient des prêts avant 2016 sous condition d’avancer 10% de la somme, aujourd’hui elles exigent de 30% jusqu’à 50% du prix de départ.