Insécurité routière : La Tunisie prête à lever le pied ?
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1,25 million de décès dans le monde par an, les accidents de la route constitue la première cause de décès pour les personnes âgées entre 15 et 29 ans. Et d’après l’OMS, 90 % de ces décès ont lieu dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, causant des problèmes de santé publique et économiques.
Le 25 juin, le Ministère de l’Intérieur tunisien publiait un communiqué concernant l’évolution de la sécurité routière en Tunisie pour le premier semestre 2016. Le constat est catégorique : les routes tunisiennes sont de plus en plus meurtrières. Et comparée à ses voisins, la Tunisie ne fait pas figure de bon élève. Face à cette situation problématique, plusieurs initiatives voient le jour, aussi bien au niveau du gouvernement que de la société civile. Décryptage.
Tunisie et décès sur les routes : le deuxième pays le plus meurtrier de la région du Maghreb
Tandis qu’une légère hausse des accidents (0,2 %) a été observée entre les premiers semestres 2015 et 2016, le nombre de décès a connu un bond considérable selon le Ministère de l’Intérieur (9,1%). Cette évolution traduit une violence croissante des accidents, et donc du comportement des usagers de la route. La moyenne nationale pour le premier semestre 2016 est ainsi de 18 accidents, 3 morts et 27 blessés par jour [Article]. Cependant, tandis que l’Observatoire National de la Sécurité Routière (ONSR) annonçait 1 505 morts sur les routes tunisiennes en 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé estimait ce chiffre à 2 679.
Si ces chiffres sont moins élevés en Tunisie que dans les autres pays d’Afrique du Nord, le taux de décès est le plus important après la Libye rapporté au nombre d’habitants. En 2013, l’OMS estimait le nombre de décès à 6 870 au Maroc, 9 337 en Algérie et 10 466 en Égypte. En nombre de décès pour 100 000 habitants, le taux est de 20,8 au Maroc, 23,8 en Algérie, et « seulement » 12,8 en Égypte, contre 24,4 en Tunisie. La Libye présente quant à elle un taux de 73,4, plaçant ainsi la Tunisie en deuxième position des accidents mortels dans la région du Maghreb (Mauritanie non comprise). En comparaison, ce taux était en 2013 évalué par l’OMS à 19,9 pour la région méditerranéenne, à 17,5 pour le monde, et à 4,8 pour la France.
D’après l’Etude de la Stratégie de la Sécurité Routière réalisée par la BAD en 2013, la retombée économique des accidents mortels en Tunisie pour l’année 2012, en se basant sur les données officielles de l’ONSR s’élèverait à 1,1 milliard de dollars US. Mais en considérant les estimations de l’OMS, ce chiffre grimperait à 1,8 milliard de dollars US, soit environ 3,8 milliards de Dinars Tunisiens. Et ceci sans compter les coûts des blessés, des dommages matériels, des infrastructures et de la congestion engendrée par les accidents.
Des enjeux institutionnels sous-jacents
D’après l’ONSR, les causes directes des accidents relèvent principalement de l’inattention (42,7%) et de la vitesse (16,1%) traduisant un problème concret de respect des réglementations. Face à une « situation catastrophique » telle que décrite par le Ministère du Transport, les raisons profondes de ce non-respect sont à identifier au niveau des institutions, comme le décrit Noureddine Sayadi, Directeur de la Circulation au sein de la Direction Générale des Transports Terrestres du Ministère du Transport : « Il n’y a pas de stratégie nationale pour la sécurité routière en Tunisie. Le problème est dans le manque de volonté politique et dans l’absence de gestion institutionnelle. Chaque acteur travaille de son côté sans coordination et donc sans vrais résultats. Aujourd’hui un Conseil National de la Sécurité Routière se réunit une fois par an pour exprimer des recommandations, et l’ONSR est censé les appliquer. Mais ni l’un ni l’autre n’ont de pouvoir réel, et rien ne se fait.».
De cette absence de gestion résulte notamment un problème de collecte d’informations: « La collecte de données statistiques est la première chose qui nous incitera à agir. Aujourd’hui, elle est faite sans approche scientifique et ne donne pas de données fiables. Par exemple, un formulaire existe pour les procès verbaux en cas d’accident, mais il est très peu utilisé et les PV sont généralement inscrits sur des feuilles blanches. Comment tirer des données de ça ? » remarque Noureddine Sayadi.
« Le code de la route n’a pas connu de vraie réforme depuis 2000″
Le Ministère du Transport s’est attaqué à ce sujet à travers un programme global d’amélioration de la sécurité routière. Une nouvelle Direction de la Sécurité, rassemblant les problématiques routières et ferroviaires a d’ailleurs été créée en 2014. Un dossier proposant une révision institutionnelle, réalisé en collaboration avec le Ministère de l’Intérieur, a ainsi été soumis à la présidence du gouvernement tunisien. Pour Khaled Mechri, directeur de la sécurité, la solution se trouve dans une réorganisation politique : « Nous avons besoin d’un responsable unique au niveau de la présidence du gouvernement qui sera chargé du dossier et qui aura le pouvoir d’agir. Ce responsable devra chapeauter tous les acteurs en présidant une commission interministérielle qui définira la politique à suivre, et appliquera la stratégie nationale en matière de sécurité ». Cette stratégie devra entre autre, réformer le cadre réglementaire. « Il faut revoir nos réglementations dépassées et incomplètes concernant la répression des infractions. Par exemple, les amendes ne sont pas dissuasives. 60 Dinars pour un excès de vitesse entre 20km/h et 50km/h, ce n’est rien ! Le code de la route n’a pas connu de vraie réforme depuis 2000. » La Direction de la Sécurité est présente aussi sur la sécurité ferroviaire à travers notamment un projet de reclassification des passages à niveau ou l’actualisation des programmes de formation des conducteurs de train.
D’autre part, s’inscrivant dans le cadre du dispositif Euromed Transport, un projet pilote de gestion de la sécurité routière a été lancé par le Ministère du Transport en 2013 à Sfax, deuxième plus grande ville du pays après Tunis. Ce projet a permis d’élaborer un système de gestion au niveau de la SORETRAS – Société Régionale des Transports de Sfax – à travers la mise en exécution d’un plan d’action rassemblant formations, optimisation d’infrastructures et promotion. Ayant participé à l’élaboration de ce système, Noureddine Sayadi explique « Pour construire ce projet, nous avons transposé le modèle de gestion d’un Etat à une entreprise, et nous avons impliqué l’ensemble du personnel. Nous n’avons pas encore de culture de la sécurité routière en Tunisie, et les responsables ne considèrent que les problèmes d’exploitation. Ces choses là prennent du temps à s’établir.». D’autres actions ont été lancées à travers le programme Euromed Transport, tel que la mise en place d’un certificat d’aptitude professionnel pour les conducteurs de bus et de camions, des sessions de formations sur les réglementations des véhicules, ou une assistance technique pour la gestion de la sécurité ferroviaire. Ce programme s’achève fin 2016.
Une sensibilisation de la population grâce à l’implication de la société civile
En parallèle des projets gouvernementaux, la société civile est aussi présente sur le sujet. Plusieurs associations tunisiennes ont vu le jour afin de sensibiliser la population, et interpeller les autorités sur les enjeux de sécurité routière du pays (Association Nationale de Sécurité Routière, association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière, …). La plus importante, l’Association Tunisienne de Prévention Routière (ATPR), a été fondée en 1962 et est présente à travers 88 bureaux régionaux et 280 bureaux locaux dans toute la Tunisie. Elle s’exprime à travers des actions de communication et des projets de terrain (renouvellement de panneaux de signalisation, participation aux plans de circulation…). Elle vise aussi à rassembler la communauté scientifique avec l’organisation de colloques afin d’exposer la répercussion de l’insécurité sur la santé ou l’économie.
Avec un nouveau projet touchant à l’éducation nationale, en partenariat avec le Ministère de l’Education, l’ATPR souligne l’importance de la sensibilisation chez les jeunes. « La majorité des accidents sont causés par des jeunes qui conduisent parfois sans permis, ou en état d’ivresse. En Tunisie, on peut obtenir son permis dès 18 ans, mais on observe un manque de maturité de la part de ces jeunes conducteurs, par absence d’éducation. De plus, le permis tunisien ne fonctionne pas par point. On peut payer des amendes, mais on ne risque presque jamais de perdre son permis. Et avec les soucis de corruption, beaucoup d’amendes ne sont pas payées. Ces facteurs font que les réglementations ne sont en général pas respectées » d’après Mohamed Achref Ben Younes, secrétaire général du bureau régional de la Marsa. « Nous souhaitons donc travailler avec le Ministère de l’Education pour ajouter la sécurité routière au programme de l’éducation nationale et en faire une véritable matière évaluée. Une convention entre l’ATPR et le Ministère a été signée dans ce sens»
En termes d’action de communication, le dernier événement en date était un rallye bien particulier organisé en Mai 2016 : « Le concept était de rejoindre Sousse depuis La Marsa en roulant le plus tranquillement possible. Des contrôleurs étaient postés sur tout le parcours pour assurer le respect du code de la route. Nous avons collaboré avec la police pour réaliser cela » explique Mohamed Achref Ben Younes. « D’autre part, l’association cherche à sensibiliser les chauffeurs de taxis et de bus. Ils utilisent fréquemment la route, mais respectent peu les réglementations. Or c’est à eux de montrer l’exemple. Ils doivent devenir des ambassadeurs de la sécurité routière ».
L’ATPR collabore aussi avec des associations internationales telles que l’Association Mondiale de la Route, ou encore le Croissant Rouge tunisien avec qui elle organise des formations de secourisme.
Des entreprises tunisiennes s’impliquent aussi
A travers leurs propres programmes, des entreprises tunisiennes, et principalement des sociétés de distribution de carburant telles que Vivo Energy Tunisie (la société qui distribue les produits Shell en Tunisie), sont tout aussi actives dans le domaine de la sécurité routière. « Nous œuvrons depuis maintenant six ans dans ce domaine. Après avoir démarré par des actions de sensibilisation, nous sommes passés à un cran supérieur en mettant en place un programme d’éducation routière pour les jeunes générations. Nous voulons placer nos efforts dans ces générations qui représentent l’avenir de la Tunisie » indique Sonia Dammak, responsable communication chez Vivo Energy Tunisie.
Le programme d’éducation « Salamati Alattariq » de Vivo Energy a ainsi été lancé dans plus de 420 écoles primaires dans tout le pays, et a touché près de 12 000 élèves. Il a été implémenté à travers la création de clubs d’éducation routière dans chaque école, mettant à disposition des kits pédagogiques et ludiques incluant des livres, posters, CD, films… Plusieurs colloques nationaux ont aussi eu lieu afin d’implémenter au mieux ce programme en formant les instituteurs à l’animation des clubs et au contenu du programme, qui a été certifié par le Ministère du transport. En parallèle, une compétition nationale de la sécurité routière destinée aux enfants a été organisée pour la 2ème année consécutive, incitant les enfants à la création de dessins et spots audiovisuels de sensibilisation. Cette compétition a fêté ses lauréats venus de toute la Tunisie le 28 juin 2016 à Tunis.
Si les dernières années ont été particulièrement actives en termes d’actions de sensibilisation, Vivo Energy ne compte pas s’arrêter là, signale Sonia Dammak : « Nous souhaitons continuer à agir sur le plan de l’éducation routière. Notre partenariat avec le Ministère de l‘Education qui date depuis 4 ans déjà, va nous aider à définir les prochaines initiaitves à mettre en œuvre ».