Transport urbain en Tunisie : 2016, ou le renouveau de la stratégie nationale
Cinq
ans après le printemps arabe Tunisien, l’année 2016 est une année clé pour les grands projets de développement, et notamment dans le domaine du transport. Suite à la révolution de 2011, l’instabilité politique et économique du pays, illustrée entre autre par une situation budgétaire difficile et une baisse des investissements extérieurs, a conduit à certaines complications dans la mise en œuvre du plan quinquennal 2010-2014. Dans le cas des transports, ces complications ont provoqué des retards voire des suspensions de certains projets dans un secteur déjà en difficulté.
Déjà au milieu des années 2000, une dégradation des infrastructures de transport public était avérée. Les politiques suivies étaient d’avantages orientées sur le développement des infrastructures routières et de la voiture particulière, négligeant l’entretien et le développement des systèmes de transport collectif. De cette manière, entre 2007 et 2014, le pays est passé de la 60e à la 118e place en termes de performance logistique, selon le classement de la Banque Mondiale. Le secteur du transport public urbain est certainement le plus représentatif de cette dégradation, avec par exemple, en 2015, un réseau de bus public dans le Grand Tunis qui ne comptait que 220 unités opérationnelles pour environ le même nombre de lignes. Un Livre Blanc proposé par la Banque Mondiale, dont la première version a été livrée en Février 2016 au Ministère du Transport de Tunisie, et qui est aujourd’hui en voie de finalisation, décrit une situation désastreuse. Dans son diagnostic, il accuse notamment l’impact des retards cumulés des différents projets sur la détérioration du transport. Ces retards concernent aussi bien les grands projets d’infrastructure, les renouvellements d’équipements et les réformes institutionnelles.
L’année 2016 entend marquer un tournant dans cette tendance, avec sur le court terme le lancement d’un nouveau plan quinquennal de développement dont l’enjeu principal est d’attirer à nouveaux les investisseurs. En parallèle, le Ministère du Transport de Tunisie entend aussi renouveler sa politique stratégique sur le long terme à travers l’élaboration du Plan Directeur National des Transports à l’horizon 2040.
La construction d’une nouvelle stratégie à long terme pour les transports est lancée
Le 9 novembre 2016 était organisé par le Ministère du Transport de Tunisie un atelier de démarrage à l’occasion du lancement de la mission d’élaboration du nouveau Plan Directeur National des Transports prévu sur l’horizon 2040. Cette mission, engagée un mois et demi plus tôt, sera effectuée par le groupement de bureaux d’étude Egis International – IDEA Consult. Censée durer dix-huit mois, elle s’achèvera au premier semestre de 2018 avec la livraison du Plan Directeur au ministère. Ce plan devra permettre aux autorités tunisiennes de disposer d’un schéma d’investissement et d’entretien des transports à l’échelle du pays, ainsi que de mesures institutionnelles et réglementaires. Un tel plan se veut être un document de vision pour l’ensemble des partenaires techniques et financiers qui disposeront ainsi d’un panel d’actions stratégiques à suivre.
En développant une toute nouvelle stratégie, le ministère a exprimé une forte volonté de rompre avec le modèle de gouvernance actuelle. En effet le modèle tunisien, reposant principalement sur des entreprises de transport publiques qui ne sont aujourd’hui plus financièrement viables, a dévoilé ses limites. D’une part, fonctionnant sur le principe de l’utilisateur-payeur, les tarifs pratiqués par des sociétés de transport telles que Transtu à Tunis ou la SORETRAS à Sfax (Société des Transports de Sfax) sont fixés et suivies par le gouvernement. Au lieu d’opérer une hausse progressive des tarifs en suivant l’inflation, une seule modeste augmentation a été exécutée en plus de dix ans. De cette manière, les charges ne sont absolument pas couvertes et le principe de l’utilisateur-payeur ne fonctionne plus. C’est ainsi que Transtu accusait fin 2015 un déficit cumulé de 700 millions de dinars. D’autre part, la situation budgétaire a fortement ralentit l’octroi des subventions publiques qui permettent de couvrir le manque à gagner du aux réductions et gratuités (étudiants, chômeurs, handicapés…). Ces retards ont accentué la fragilité des entreprises.
Face à ces dysfonctionnement, le Plan Directeur National des Transports veut permettre de préparer et exécuter la transition vers un modèle plus stable et plus efficace. Il devra assurer entre autres une intégration et une efficacité globale de la stratégie avec d’autres secteurs tels que l’aménagement du territoire, l’énergie ou l’environnement. En termes de développement durable, certains enjeux ont déjà été identifiés tels que la diminution de la violence routière ou la baisse de la consommation d’énergie.
La stratégie à court terme veut dynamiser des investissements dans les grands projets d’infrastructure
L’année 2016 marque aussi le démarrage du XIIe Plan Quinquennal de Développement prévu sur l’horizon 2020. En termes de transport urbain, ce plan quinquennal se veut ambitieux et affiche une vision stratégique orientée sur la réhabilitation et le développement du transport public. Différents axes tels que la restructuration des entreprises publiques, l’amélioration de la qualité de service et de la sécurité, le développement des projets de partenariats public-privé ou l’intégration des nouvelles technologies pour adopter un transport intelligent sont ainsi développés.
Ce plan se traduit notamment par d’importants projets d’infrastructure centrés sur les villes de Tunis et de Sfax (seconde ville de Tunisie). La capitale concentre la grande majorité de ces investissements avec la continuité du projet phare du Réseau Ferré Rapide (vaste réseau suburbain en construction) nécessitant un peu plus de 1,8 milliard de dinars, ainsi que la réhabilitation et l’extension du réseau de métro léger (réseau urbain de type tramway). La ville de Sfax n’est pas non plus en reste et lance son projet de transport en commun en site propre comprenant deux lignes de tramways et trois lignes de bus à haut niveau de service. Le projet total nécessite un investissement de 2 milliards de dinars, dont 600 millions sont prévus pour la première phase de réalisation correspondant à la période 2016-2020.
A ces projets d’infrastructure s’ajoutent aussi un fort besoin de renouvellement des équipements et des véhicules. La réhabilitation de la flotte du métro léger de Tunis dont certaines rames datent de plus de 25 ans est par exemple placée en priorité. D’autre part, l’acquisition de plus de 3000 bus est programmée à destination de la Société des Transports de Tunis mais aussi des sociétés de transport régionales dans toute la Tunisie.
Au total, le transport rassemblerait plus de 17 milliards de dinars d’investissements dans ce nouveau plan quinquennal, dont 36% devront provenir d’investissements extérieurs. Afin de mobiliser ces investissements, la conférence internationale Tunisia 2020 était organisée les 29 et 30 novembre à Tunis. Cette conférence a d’abord pour objectif de présenter à la communauté internationale le plan quinquennal 2016-2020 ainsi que le programme de réforme des administrations et des entreprises publics afin de mobiliser les investisseurs et encourager les partenariats public-privés. Sous la direction du Ministère de l’Investissement, du Développement et de la Coopération Internationale, les différents ministères se sont donc regroupés afin de synthétiser les grandes orientations du plan. Ainsi, le Ministère du Transport associé au Ministère de l’Énergie, au Ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, ainsi qu’au Ministère des Technologies de la Communication et de l’Économie Numérique, a établi sa liste de projets pour les investisseurs. En tête de cette liste figurent le projet de transport en commun de Sfax, et la seconde phase du projet de Réseau Ferré Rapide de Tunis.
La conférence Tunisia 2020 a accueilli plus de 4500 participants représentant 70 pays et était ainsi une occasion pour les décideurs d’échanger avec les opérateurs et les autorités tunisiennes, ainsi que de se positionner sur les différents projets de développement. Au total, les engagements formulé représentent un montant global de 19 milliards de dinars. Ont pu notamment se positionner la Banque Européenne d’Investissements (BEI) avec une déclaration de 6,8 milliards sur 4 ans pour le financement d’infrastructures et le développement du secteur privé, ainsi que l’Agence Française de Développement avec une déclaration de 2,5 milliards de dinars sur 4 ans et un ensemble de prêts de l’ordre de 420 millions de dinars.
Aujourd’hui, la coordination entre les acteurs représente l’enjeu majeur
Si ce renouveau de la vision stratégie et la re-dynamisation des investissements est essentielle pour le développement des transports urbains en Tunisie demain, l’enjeu principal aujourd’hui réside dans la coordination des acteurs impliqués dans les différents projets. Il est en effet nécessaire d’adopter un modèle organisationnel favorisant l’intégration des projets.
Le projet de RFR à Tunis (Réseau Ferré Rapide) illustre parfaitement cet enjeu de coordination. Ce projet de réseau ferré suburbain démarré en 2007 vise à connecter les banlieues du Grand Tunis avec son centre. Il sera exploité par la SNCFT, et vient s’additionner au réseau urbain existant exploité par la STT (Société des Transports de Tunis), ou Transtu. En parallèle de ce grand projet, la Transtu a démarré une modernisation de son réseau en termes d’infrastructures et de billettique. La volonté des autorités d’offrir une solution de transport intégrée amène à considérer les problématiques d’interopérabilité des deux réseaux RFR et Transtu. Afin d’intégrer correctement le RFR au reste du réseau, il est primordial que les acteurs se coordonnent, communiquent et prennent des décisions communes.
Actuellement, cette coordination s’exprime par la tenue de commissions ponctuelles permettant à chacun de suivre les projets des autres. Mais aucune structure décisionnelle commune n’est en place et les acteurs n’arrivent pas à partager une vision collective. La loi sur les transports appliquée en 2004 prévoit l’instauration d’autorités régionales organisatrices des transports terrestres dans les grandes villes tunisiennes. Aujourd’hui, aucune autorité n’a été mise en place. A Sfax, un projet a démarré en 2013 afin de créer une telle autorité régionale. Un comité de préfiguration est aujourd’hui en place avec pour mission de suivre les projets sfaxiens et de mettre en œuvre cette autorité. A Tunis, le projet d’autorité organisatrice à démarré en 2016 suite à l’organisation d’un séminaire sur le sujet. Suivant un principe similaire au projet de Sfax, un comité décisionnel est en cours de construction et permettra de rassembler les décideurs présents sur le Grand Tunis et de mettre en place progressivement une autorité organisatrice.
La création de ces autorités représente un enjeu majeur pour la réussite des projets à l’échelle de villes telles que Tunis et Sfax. Mais cette réorganisation implique une évolution des structures existante qui devront s’adapter à de nouveaux modes de gouvernance. Au-delà des besoins en termes d’investissement, ce sont les mentalités qui doivent se transformer dans un pays en pleine mutation, et qui atteint une étape critique de sa transition.