Coopération technique Ministère des Transports Angola – AFD – CODATU : améliorer la perception et l’exploitation de la ligne de chemin de fer de Luanda
En mai 2022, l’AFD, CODATU et le Ministère des Transports Angolais (MinTrans) signent un accord de coopération visant à soutenir le Mintrans dans le développement d’un système de mobilité urbaine efficace, intégré et durable pour sa capitale Luanda ainsi que pour les villes secondaires du pays. Cet accord de coopération met à disposition du MinTrans un Fond d’Expertise Technique et d’Echanges d’Expériences (FEXTE) d’un montant d’un million d’euros sur une période de trois ans, durant laquelle sont mises en place des activités de renforcement des capacités du MinTrans et d’autres acteurs angolais du secteur des transports, des échanges d’expériences avec des villes françaises et africaines, des diagnostics et des études, et divers appuis.
Parmi les différents axes de travail prioritaires identifiés lors de la première mission de diagnostique il y a un an, figure l’appui à l’entreprise publique Caminho de Ferro de Luanda – Chemin de fer de Luanda (CFL). Le CFL est responsable de la gestion et l’exploitation de la ligne ferroviaire qui part du port de Luanda (station Bungo) jusqu’au nouvel aéroport (extension inaugurée en 2023). Cette ligne ferroviaire, idéalement située sur l’axe principal de l’agglomération de Luanda, est vue par le MinTrans, comme un potentiel levier pour soulager la demande croissante de mobilité au sein de la capitale angolaise. Selon une étude du TUT-POL (Université de Harvard), cette demande de transport atteindrait 2,8 millions de trajets par jour, et les services de transport public disponibles sont encore loin de répondre à cette demande.
Le service sur cette ligne ferroviaire reste aujourd’hui relativement peu développé. L’offre est en effet très réduite, avec 16 trajets aller-retour par jour, dont un seul réalisé à l’heure de pointe (trajet saturé sur lequel environ 700 voyageurs sont entassés dans les rames). L’infrastructure ferroviaire a été construite par une compagnie portugaise en 1889. La société est restée la propriété de l’État portugais jusqu’à l’indépendance de l’Angola en 1975, où elle a été expropriée et nationalisée. Or, avec la guerre civile qui s’est déclenchée cette même année, les voies ainsi qu’une grande partie du matériel roulant ont été fortement endommagés. Depuis 2005, juste après la fin de la guerre, de nombreux investissements -près de 350 millions USD- ont été mobilisés pour la réhabilitation de l’entreprise publique et ses infrastructures. Au lendemain de la guerre, le redémarrage du CFL était vu comme un véritable symbole de retour à la paix, et un moteur de développement économique pour la capitale. Néanmoins, on observe aujourd’hui plusieurs facteurs qui remettent en cause l’efficacité du système de transport.
Après des décennies d’absence du transport ferroviaire, une génération entière a perdu l’habitude de ce mode de déplacement. Cela se note à travers le faible nombre de passagers à prendre le train, la méconnaissance des habitants de Luanda sur l’existence de la ligne et ses points de desserte, mais également à travers la mauvaise perception et des comportements qui dégradent les infrastructures et le service du CFL.
Parmi ces comportements, nous pouvons citer en premier lieu, le dépôt d’ordures sur les voies par des populations riveraines qui utilisent la ligne comme dépotoir (à cause d’un service de collecte des déchets trop éloigné), ce qui empêche l’utilisation d’une des deux lignes de la voie ferrée. Bien souvent, la circulation des trains ne se fait que sur une seule voie, et cela limite fortement le nombre de trajets réalisables chaque jour. Cette problématique dépasse les compétences du CFL et doit aussi être traitée par les autorités locales, ainsi que les représentants d’associations des quartiers concernés (mise en place d’un service de collecte des déchets dans les quartiers riverains, campagnes de sensibilisation, etc.).
Au quotidien, le CFL fait également face à des traversées intempestives des voies par des riverains qui perçoivent cette ligne comme une rue à traverser, certes plus dangereuse et avec des obstacles. Ces derniers traversent souvent les lignes et dégradent les clôtures censées isoler les infrastructures, au lieu d’utiliser les passerelles dédiées qu’ils jugent souvent trop éloignées et peu sécurisées. Ces dernières années, des vendeurs ambulants ont pris l’habitude de s’installer sur les voies et attirent davantage de monde sur cette zone pourtant dangereuse. Chaque mois, plusieurs cas de collision, souvent mortels, entre le train et des habitants sont enregistrés. Par mesure de précaution, le train circule donc à une vitesse commerciale bien moindre que ce qu’il devrait pour assurer un service normal aux usagers. Ici encore, la mobilisation des autorités et des associations de quartiers est nécessaire pour améliorer la situation : refaire les clôtures, construire des passerelles adaptées, mettre en place des mesures de sécurité, etc.
Enfin, le matériel roulant du CFL fait quotidiennement face à des actes de vandalisme (jets de pierres sur les trains, vols de boulons des rails, détérioration du matériel, etc.), souvent opérés par des jeunes de quartiers populaires riverains qui voient ces infrastructures comme un emblème de l’État, et montrent leur frustration en se rebellant contre ce symbole.
Afin d’adresser ces différents enjeux, les experts de CODATU proposent d’aborder ce sujet sous un angle social. En effet, il s’agit d’un problème sociétal et pas seulement de problématiques liées à l’exploitation de la ligne ferroviaire. Pour cela, nous avons proposé aux partenaires locaux de réunir les différents partis impliqués afin de réfléchir ensemble à des solutions pour remédier à cette situation qui met quotidiennement en péril la vie des populations riveraines, et empêche un fonctionnement efficace des opérations du CFL.
Ces derniers mois, CODATU a travaillé en étroite collaboration avec les membres du CFL afin d’identifier un premier périmètre de travail, c’est-à-dire une zone critique où sont régulièrement observés ces problématiques et où nous pourrions réunir résidents, administrations locales et membres du CFL pour initier un dialogue entre les différents partis. Le quartier choisi pour ce projet-pilote est Sambizanga, un district qui s’étend sur une superficie de 14,5 km2 et qui avoisine une partie du tracé du train dans le centre-ville de Luanda. Sambizanga compte 300 000 habitants et fait partie des quartiers de la capitale qui ont grandi de façon anarchique sur des parcelles de terrain initialement destinées aux opérations du CFL.
Alors que plus de 500 mètres des deux côtés des voies étaient réservés auparavant à l’entreprise publique durant la période d’avant-guerre, aujourd’hui ce chiffre est passé à 10 mètres, et sur certains segments de la ville, comme c’est le cas à Sambizanga, des habitations sont même construites dans ce rayon de 10 mètres. Bien que la gestion du foncier relève de la compétence du CFL, la régulation de ces habitations sur ces parcelles est une compétence des administrations locales.
Durant la dernière mission de CODATU et l’AFD à Luanda en novembre 2023, nous avons organisé la première rencontre du groupe de travail CFL-Sambizanga, à laquelle ont participé des représentants de la Municipalité de Sambizanga, du Gouvernement de la Province de Luanda, des associations des habitants du quartier, du CFL, du MinTrans ainsi que de CODATU et l’AFD. Cette première rencontre a permis à tous les participants de visiter les lieux, d’identifier les points critiques, de partager leurs perceptions et préoccupations sur ces problématiques, et d’initier les discussions pour définir des pistes d’amélioration.
Ce groupe de travail se réunira deux fois par mois jusqu’à mars 2024, et son objectif est de définir de manière collective une liste d’actions prioritaires qui pourraient être mise en place sur le court et moyen terme pour améliorer durablement la situation. Cette liste d’actions sera remise au Ministère des Transports et au Gouvernement de la Province de Luanda, et les partenaires MinTrans, AFD et CODATU évalueront quelles actions pourront être mises en œuvre dans le cadre de la coopération technique en 2024 et 2025.