Coopération Technique Tunisie – Construire une politique nationale de mobilité urbaine soutenable en Tunisie avec MobiliseYourCity
Si
l’année 2016 représente en Tunisie une forme de renouveau pour la stratégie nationale en termes de transport, et une année clé pour les grands projets d’investissement dans les villes (Réseau Férré Rapide à Tunis, Métro Léger à Sfax, etc.), une politique claire en matière de mobilité urbaine a toujours besoin d’être définie. L’élaboration d’un Plan Directeur National des Transports a démarré au second semestre 2016 dans le but d’établir une stratégie générale pour les transports terrestres, aérien et maritimes. Mais cette stratégie concernera surtout les grands projets de transport au niveau du pays, et moins la stratégie à adopter dans les villes en termes de mobilité.
Le secteur du transport urbain tunisien est en crise. Le service public assure difficilement l’exploitation quotidienne des transports urbains, les transports en commun se dégradent continuellement provoquant un report modal vers les modes non réguliers et la voiture, aggravant les problèmes de congestion urbaine et de sécurité routière, et les projets de modernisation et de construction de nouveaux modes continuent de prendre du retard. En termes de planification, les Plans Directeurs Régionaux des Transports (PDRT), documents de planification des transports dans les villes, n’ont pas été redéfinis depuis la fin des années 90. Les derniers PDRT de Tunis et Sfax datent de 1998, et celui de Sousse date de 1995. Depuis presque 20 ans, la stratégie en termes de déplacements dans les agglomérations n’a pas été mise à jour.
Aujourd’hui, une nouvelle Politique Nationale de Mobilité Urbaine est nécessaire en Tunisie, et ceci pour différentes raisons. La première résulte de l’ancienneté des plans directeurs régionaux évoquée. Les villes tunisiennes ont fortement évolué en 20 ans, transformant les enjeux et ainsi les orientations à suivre. La seconde est la crise traversée par le transport urbain. Deux facteurs primordiaux sont responsables de cette crise à savoir une absence de bonne gouvernance locale, et des mécanismes de financement caduques. Une politique nationale peut agir sur ces deux sujets et participer à l’amélioration du secteur. Enfin, le choix de parler de mobilité n’est pas anodin. La notion de mobilité urbaine intègre différentes composantes telles que les transports, l’aménagement urbain, l’énergie ou l’environnement. Or ces problématiques sont actuellement réparties par secteur et donc gérées séparément. Un vision unifiées est nécessaire pour aider aux meilleures décisions.
Des Journées Nationales sur le Transport Urbain en 2012 peu mises en application
En 2010, dans le cadre d’un programme initié par le Centre de Marseille pour l’intégration (CMI), et financé par l’Agence Française de Développement, un important travail de renforcement des compétences des autorités nationales et locales méditerranéennes avait démarré sur le thème de la mobilité urbaine durable, avec l’appui de CODATU. Il avait pour but de forger progressivement une culture méditerranéenne en partageant les bonnes pratiques et d’apporter des solutions plus adaptées aux différents contextes locaux. Ce programme a consisté en un cycle de rencontres régionales et nationales dans le bassin méditerranéen. Fin 2012 étaient ainsi organisées des Journées Nationales du Transport Urbain (JNTU) à Tunis sur les thématiques de la gouvernance et du financement des transports urbains, dans le but de proposer des actions constituant une feuille de route sur le court-moyen terme. Les préconisations établies portaient sur des sujets variés tels que les autorités organisatrices de transport, l’évolution des modèles tarifaires, les nouvelles sources de financement ou encore les relations entre pouvoirs publics et entreprises. La majorité des problématiques évoquées lors des JNTU sont toujours d’actualité, et nécessitent une attention accrue de par la situation d’urgence. La tableau ci-dessous résumé les principales recommandations faites en 2012 et le bilan des actions effectuées jusqu’à aujourd’hui.
Recommandation JNTU 2012 | Proposition 2012 | Bilan 2017 |
Mettre en œuvre une politique nationale des transports urbains durables | Création d’une Commission Nationale Interministérielle des transports urbains durables | Mission toujours assurée par le Ministère du Transport |
Mettre en place les autorités régionales organisatrices de transport prévues par la loi n°2004 -33 | Renforcement des capacités des futures AROTT
Appui spécifique et transfert de compétences à Sfax et à Sousse Projets pilotes de TCSP suivis par les AROTT |
Actions de formation
Coopération avec des villes Françaises (Grenoble, Strasbourg) Comité de préfiguration d’une AROTT mis en place à Sfax Projet de TCSP lancé à Sfax |
Créer une autorité organisatrice des transports spécifique au Grand Tunis | Mise en place d’un comité technique interministériel associant l’AUGT et les communes | Comité en cours de constitution |
Mettre en place une tarification intégrée pour les transports collectifs à Tunis | Etude tarifaire
Enquête « ménages-déplacements » Politique tarifaire intégrée Nouvelle grille tarifaire |
Démarrage d’une étude d’intégration tarifaire en 2017
Système billettique en projet |
Clarifier les relations entre les pouvoirs publics et les entreprises de transport | Etat des lieux de la situation
Revoir la relation contractuelle entre Etat et entreprises publiques Possibilité de développement des services privés et ouvertures aux nouveaux services |
Commission au niveau de la Présidence du Gouvernement chargé de la restructuration et la gouvernance des entreprises publiques
Projets de restructuration des entreprises publiques en difficulté |
Augmenter les recettes tarifaires | Rattraper progressivement le niveau des tarifs
Indexer l’augmentation annuelle sur l’inflation Réviser les réductions tarifaires et transférer les compensations sur d’autres budgets |
Hausse des tarifs pour les opérateurs privés
Hausse du montant de la subvention pour les entreprises publiques |
Trouver de nouvelles sources de financement | Valorisation foncière autour des stations RFR
Valorisation du patrimoine foncier des entreprises publiques Prélèvement fiscal sur les bénéficiaires indirects Fonds de financement des projets de transport |
Un projet de décret préparé |
Articuler le développement urbain et la planification des transports | Intégrer les services de l’aménagement du territoire et l’AUGT dans le comité technique interministériel
Intégrer la planification et l’aménagement urbain dans les travaux d’AROTT |
AUGT et ANME pris en compte dans le projet de comité
MEHAT représenté au niveau des comités de préfiguration de Sfax et du Grand Tunis |
Préparer les autres principales villes à la mobilité urbaine durable | Etudes sur la demande de déplacements et sur les modes à développer
Base de données sur la mobilité urbaine en Tunisie |
Participation des représentants des principales villes dans les actions de sensibilisations et formation |
La gouvernance locale et le financement représentent aujourd’hui des enjeux majeurs
Suivant le principe de décentralisation souligné par la constitution de 2014, la mise en place d’une bonne gouvernance locale est aujourd’hui essentielle pour les transports urbains en Tunisie, en termes de planification et d’organisation. La loi 2004-33, qui est la loi de référence sur l’organisation des transports terrestres, a défini il y a déjà dix ans la notion d’Autorités Régionales Organisatrices du Transport Terrestre (AROTT). Ces autorités ont pour mission de planifier et organiser les transports urbains et régionaux dans chaque gouvernorat. Aujourd’hui, les AROTT ne sont toujours pas mises en place, malgré des projets pilotes lancés à Sfax et à Tunis. Afin de mener ces projets à bout, il est essentiel d’élaborer un modèle qui garantira à ces AROTT une implantation solide et un fonctionnement efficace, et leur assurera une position de véritables autorités décentralisées dans le paysage institutionnel actuel et futur.
Le chantier de restructuration institutionnelle pour une gouvernance locale des transports urbains doit être impérativement accompagné d’une amélioration des mécanismes de financement. La grande majorité des compagnies de transport public tunisiennes sont des entreprises publiques sous la tutelle du Ministère du Transport, et dépendent directement de celui-ci et du Ministère des Finances pour la gestion de leur budget. Les recettes actuellement perçues par les entreprises proviennent essentiellement des recettes voyageurs dont les tarifs des titres sont fixés par l’Etat, et des subventions accordées par celui-ci. Mais les tarifs n’ayant quasiment pas évolué depuis plus de dix ans ont placé ces entreprises publiques en situation de déficit, voire de faillite, amenant le Ministère du Transport à procéder à des plans d’assainissement réguliers. Les quelques transporteurs privés en activité risquent aussi la faillite, le développement de nouvelles concessions ayant été stoppé limitant ainsi fortement les ressources.
Passer du concept de Transport au concept de Mobilité
Afin de mettre en place des actions pouvant contribuer au respect de l’engagement pris par la Tunisie lors de la COP 21 en 2015 de réduire de 41% l’intensité carbone par Unité de PIB (dont 13 % de contribution volontaire non-conditionnée, et 28% conditionné à l’aide internationale), la Tunisie a candidaté à l’initiative MobiliseYourCity. Cette initiative vise à réduire les émissions de CO2 dans le secteur du transport et de la mobilité urbaine à travers l’élaboration et la mise en place de Plans de Déplacement Urbain Durables (SUMP) au niveau local et de Politiques Nationale de Mobilité Urbaine (NUMP) au niveau central. Elle est portée par la coopération française et allemande à travers un partenariat international dont l’AFD, le Cerema, la CODATU et la GIZ sont parmi les membres fondateurs.
En partenariat avec cette initiative, et dans le cadre de la coopération technique animée par CODATU à Tunis, des MobiliseDays – événement de lancement de l’initiative MobiliseYourCity – étaient organisés les 1er et 2 mars 2017 à l’hôtel El Mouradi Gammarth à Tunis sous le nom de Forum de la Mobilité Urbaine (FMU). Reprenant les thématiques des JNTU, il était intitulé « Vers une Politique Nationale de Mobilité Urbaine en Tunisie pour une meilleure gouvernance locale et des mécanismes de financement durable ».
Ouvert par M. Anis Ghedira, Ministre du Transport de Tunisie, et M. Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur de France en Tunisie, cet événement national était l’occasion pour les différents acteurs de la mobilité urbaine de se rassembler à nouveau autour de ces problématiques clés pour le secteur, et de réfléchir au bilan depuis les JNTU et aux actions à mener dans les prochaines années. Il avait pour principal objectif de discuter des orientations stratégiques à suivre pour une politique nationale de mobilité urbaine durable. Ces orientations issues du Forum ont notamment alimenté la réflexion quant aux actions à entreprendre dans le cadre de MobiliseYourCity.
Plusieurs mesures sont d’ores et déjà clairement ressorties dans les débats. Elles touchent à la gouvernance et au financement, mais aussi aux enjeux de mise à niveau du service et au renforcement de capacité. Il a notamment été mentionné la nécessité de passer du concept de Transport au concept de Mobilité pour englober efficacement l’ensemble des problématiques, et d’adopter ainsi le terme d’Autorité Régionale Organisatrice de la Mobilité (et non plus des Transports Terrestres).
Il est maintenant nécessaire d’étudier la faisabilité de chacune d’entre elles, de définir les modalités de mises en œuvre, et de mettre en place les outils méthodologiques requis. Aussi, afin d’aboutir à un plan d’action structuré, ces mesures doivent impérativement être priorisées afin de faire la différence entre les « Quick Wins », mesures rapides à effet immédiat, et celles structurantes sur le long terme. Enfin, ce plan devra être appliqué à l’aide d’une implication des différents ministères, et d’un dialogue soutenu entre les secteurs. Les actions proposées doivent ainsi constituer un programme de travail pour l’élaboration d’une véritable politique de mobilité urbaine durable que l’initiative MobiliseYourCity en partenariat avec le Cerema et la GIZ pourra accompagner à l’aide de ses outils méthodologiques. Ces propositions d’actions sont résumées ci-après.
Une gouvernance locale renforcée et portée sur l’environnement
Afin d’aider la Tunisie de répondre aux engagements pris lors de la COP21 (41% de réduction de l’intensité carbone d’ici 2030), une politique nationale de mobilité urbaine doit avoir pour objectif de construire une vision partagée de la mobilité urbaine et doit dessiner un plan d’action dans ce sens. Une NAMA Transport Nationale doit être notamment développée pour quantifier entre autres la réduction des émissions de CO2 potentielle suite à la mise en place de cette politique.
Il a été aussi conseillé de créer une Commission Nationale Interministérielle pour la Mobilité Urbaine qui permettra de réviser le cadre législatif et réglementaire. Ce cadre législatif devra être co-produit entre les différents ministères pour intégrer planification urbaine, aménagement du territoire et planification des transports. Il devra aussi être accompagné de textes d’applications qui permettront d’accélérer la mise en place effective des AROM et d’en faire de vraies autorités locales, et non pas de simples instances consultatives. Les différents modèles de gestion des relations entre les futures AROM et les opérateurs devront être aussi étudié. La Commission Nationale devra aussi permettre le suivi de l’initiative MobiliseYourCity qui accompagnera la mise en place d’une telle politique.
Un renouvellement et une décentralisation des mécanismes de financement
La nécessité d’agir vite et d’assainir durablement la situation financière des entreprises de transport privées et publiques s’est faite fortement ressentir. Des actions sur le court terme pourront avant tout être envisagées afin de dégager les recettes nécessaires au fonctionnement de ces entreprises. Les grilles tarifaires devront être réévaluées avec à la clé une augmentation générale des tarifs basée sur le calcul du véritable coût du transport, et une stratégie de diminution de la fraude devra être mise en place avec un renforcement des contrôles. Les plans d’assainissement financiers devront aussi être revus avec l’Etat.
Une fois ces premières actions menées, il sera nécessaire d’assurer l’équilibre financier et de garantir la performance des entreprises sur le long terme. Pour ce faire, les grilles tarifaires adoptées devront être régulièrement mise à jour suivant le coût réel du transport en concertation avec les opérateurs, et en indexation sur l’inflation. Le modèle de gouvernance des entreprises gagnera aussi a être réformé clarifiant ainsi le rôle de l’Etat et mettant en place un système de contractualisation efficace. Enfin, une agence autonome de régulation et de compensation économique devra être étudiée afin de mettre en place progressivement le concept de concurrence entre les opérateurs, et dans le cas d’une intégration tarifaire (notamment dans le Grand Tunis), assurer une répartition des recettes.
De plus, une étude de faisabilité sur les nouveaux mécanismes de financement plus structurants et durables concernant les bénéficiaires directs et indirects du transport devra être menée afin d’élaborer le décret d’application de l’article 11 de la loi n°2004-33 portant sur le financement du transport.
Enfin plus généralement, le nouveau cadre législatif mis en place par la commission nationale interministérielle devra permettre la décentralisation des ressources financières au niveau des régions, nécessaires au fonctionnement des AROM, et en accord avec le chapitre 7 de la constitution de 2014.
Un appui en termes de renforcement de capacités
Pour mettre en oeuvre les différentes actions évoquées, et appliquer un nouveau cadre réglementaire, un portage politique fort sera nécessaire. Il devra non seulement permettre un accompagnement de la politique nationale sur le long terme, mais devra aussi témoigner d’un passage à l’action rapide avec des « Quick Wins » (Développement de scénarios de mise en place des AROTT, organisation de journées sans voiture, mise en place de la Commission Nationale pour la Mobilité Urbaine, développement d’un guid PDU, etc.).
D’autre part, un observatoire de la mobilité urbaine devra être mis en place afin de permettre une récolte les données statistiques en matière de mobilité. Ceci permettra de mieux étudier la demande pour adapter l’offre, et de suivre les performances des transports et leurs effets sur l’environnement.
Une modernisation des réseaux de transport
Enfin, la politique nationale de mobilité urbaine qui sera mise en place doit impérativement réaffirmer la promotion des transports en commun. Cette promotion nécessite entres autres une modernisation des réseaux avec une stratégie de renouvellement du matériel roulant. Cette stratégie doit aussi s’accompagner d’une promotion des modes actifs et ainsi participer à la réduction de des émission due aux transports qui s’inscrit dans la réponse aux engagements de la Tunisie lors de la COP21.
Synthèse des propositions clés
Gouvernance | Financement |
Développement d’une Politique Nationale de Mobilité Urbaine pour une vision partagée de la mobilité urbaine.
Développement d’une NAMA Transport pour quantifier entre autres la réduction des émissions de CO2 potentielle suite à la mise en place de la Politique Nationale de Mobilité Urbaine. Création d’une Commission Nationale interministérielle pour la Mobilité Urbaine pour réviser le cadre législatif et faire le suivi de l’initiative MobiliseYourCity. Instauration d’un cadre législatif co-produit entre les différents Ministères, intégrant planification urbaine, aménagement du territoire et planification des transports. Instauration d’un cadre législatif et des textes d’application plus adaptés à la mise en œuvre effective des AROM Etude sur les différents modèles de gestion des relations entre les futures AROM et les opérateurs de service. |
Dégagement à court terme des recettes pour financer le fonctionnement des entreprises publiques de transport urbain à l’aide de mesures à effet rapides telles que :
– Amélioration de l’efficacité des contrôles anti-fraude mis en place par les opérateurs Solutions durables pour permettre l’équilibre financier des entreprises de transport privées et publiques, telles que : – Réforme de la gouvernance des entreprises publiques de transport urbain Etude de faisabilité de nouveaux mécanismes de financement concernant les bénéficiaires directes et indirectes du transport afin d’élaborer le décret d’application de l’article 11 de la loi n°2004-33. Application du chapitre 7 de la constitution pour la mise en place d’un cadre législatif permettant la décentralisation des ressources financières au niveau des régions, nécessaires au fonctionnement des AROTT/AROM. |
Renforcement de capacité | Technologies |
Garantir un portage politique fort pour assurer la mise en application des lois.
Passer rapidement à l’action avec des « Quick wins » Mise en place d’un observatoire de la mobilité urbaine afin de récolter des données statistiques en matière de mobilité |
Réaffirmation d’une politique de promotion des transports en commun avec un renouvellement du matériel roulant, et promotion des modes actifs. |
>>> Téléchargez le compte rendu du Forum de la Mobilité Urbaine / MobiliseDays <<<
Cet article s’inscrit dans le cadre du programme de coopération technique en Tunisie financé par l’Agence Française de Développement. CODATU, l’Agence Française de Développement et le Ministère du Transport de Tunisie ont signé en février 2016 un accord de coopération technique visant à accompagner le Ministère du Transport de Tunisie dans la mise en œuvre des différents projets de mobilité urbaine, et l’amélioration des systèmes de transport public dans les grands centres urbains tunisiens.