A Cape Town, des formations pour impliquer le transport artisanal dans le BRT
Lancé
en 2007 par le Gouvernement National Sud-Africain dans le cadre d’une stratégie de développement et d’amélioration des transports publics, le programme de mise en place de réseaux BRT dans plusieurs villes a connu différents degrés de succès. Un des facteurs clefs de succès de la mise en place de réseaux de BRT est le niveau d’intégration des minibus-taxi – la forme la plus courante du transport artisanal en Afrique du Sud – dans la réforme. A ce titre, le réseau MyCiTi de Cape Town (2011) est souvent cité comme exemple.
Dès le départ, celui-ci a envisagé deux options pour les minibus-taxis affectés par la première phase du programme : une compensation financière pour quitter le système de transport public ou une participation dans les nouvelles compagnies créées avec la mise en place du système BRT. L’inclusion des anciens propriétaires et conducteurs nécessita des efforts importants de la part des autorités métropolitaines. Les enseignements de la première phase ont notamment incité à la mis en place une formation spécifique à destination des opérateurs des minibus-taxis.
Valérie Marie-Yagappa et Léaud Le Bacq ont réalisé un stage à CODATU en 2015 dans les bureaux de la compagnie ODA, fortement impliquée dans le processus d’inclusion du transport artisanal dans le projet MyCiTi. Grâce à une collaboration avec l’Université du Cap (UCT), ils ont pu étudier les caractéristiques de cette formation afin d’étudier sa réplicabilité dans d’autres villes sur le continent africain qui envisagent l’introduction d’un mode catalyseur d’une réforme du transport public (le document complet est téléchargeable à la fin de cet article).
Un besoin de formation des opérateurs des minibus-taxis
Le projet de BRT de Cape Town a été élaboré en plusieurs phases. La première phase, le West Coast Corridor, qui date de 2011 résulta dans la création de trois compagnies de bus pour l’exploitation des lignes principales et des lignes de rabattement. Deux de ces compagnies sont issues d’un regroupement d’anciennes associations de minibus-taxi. L’autre compagnie de BRT est issue d’une compagnie déjà existante dans la ville, Golden Arrow Bus Services (GABS). Cette organisation finale fut le résultat d’un long processus de négociations entre le secteur du transport artisanal, les acteurs du transport institutionnel et les responsables de la mise en place du réseau MyCiTi.
La deuxième phase concerne un couloir de transport complexe du point de vue du nombre d’associations de minibus qui emprunte une infrastructure autoroutière (N2 Express). Les services relient au centre urbain Khayelitsha et Mitchells Plain. Ces deux townships regroupent environ 1 300 000 habitants sur les 3 750 000 habitants de Cape Town. Les minibus-taxis sont réunis au sein de quatorze associations du côté de Khayelitsha et quatorze du côté de Mitchells Plain. L’articulation de ces associations diffère toutefois entre les deux townships. A Khayelitsha, les représentants de chaque association font tous partie d’une entité appelée Congress of Democratic Taxi Association (CODETA). CODETA a un fort pouvoir auprès des associations de minibus-taxis, favorisant un ensemble homogène. Contrairement, à Mitchells Plain, les associations sont très indépendantes. Seul un regroupement de responsables existe, rassemblant les représentants des associations, dans un but bien plus informatif que décisionnel.
Lors de la préparation des clauses d’un contrat d’intérim pour l’exploitation du corridor de la Phase 2, les parties prenantes et notamment les facilitateurs du projet se sont penchés sur les conclusions tirées à l’issue de la Phase 1. Il est alors apparu évident qu’une attention particulière devait être donnée à l’implication des opérateurs de minibus-taxis au sein du projet N2 Express. L’un des problèmes majeurs retenu de la Phase 1 était le manque de connaissances générales des opérateurs en matière de gouvernance d’entreprise, cadre juridique et gestion opérationnelle de services de bus. Dans le but de renforcer les capacités des acteurs du transport artisanal qui seront inclus dans la deuxième phase du programme MyCiTi, les autorités responsables ont voulu améliorer les conditions d’accompagnement mises en place pour la Phase 1. Pour ce faire, les autorités ont développé une formation et se sont appuyer sur l’expérience de GABS pour adapter les connaissances des opérateurs aux modalités d’exploitation d’un réseau de BRT (y compris les lignes de rabattement).
L’objectif attendu à l’issue de cette formation est de préparer au mieux les acteurs du transport artisanal aux futurs postes qu’ils seront susceptibles d’occuper dans les nouvelles Vehicle Operating Companies (VOCs) chargés des services du réseau BRT sur le corridor N2 Express. L’autorité organisatrice des transports de la ville, Transport for Cape Town (TCT), a été désignée responsable de la mise en place d’un programme de formation sur trois ans. Ainsi, le Capacity Building Programme (CBP) a été structurée suivant un calendrier qui a commencé en juillet 2014 et qui s’achève en juillet 2017.
Une formation sur mesure
La CBP est divisée en trois cours. Le premier cours, allant de juillet 2014 à juillet 2017, a pour but de former des mécaniciens capables d’entretenir la flotte des bus du réseau MyCiTi. Faisant partie du contrat d’intérim, GABS est en charge de cette partie de la formation et partage ainsi son savoir-faire et son expertise aux anciens acteurs du secteur des minibus taxis. Le deuxième cours (de janvier 2015 à juillet 2017) présente un autre objectif : il vise à former directeurs généraux et directeurs techniques aux postes correspondants dans les VOCs prochainement créées. Le troisième et dernier cours est à destination d’un public plus large. Il a pour but d’apporter aux acteurs du secteur minibus taxis les compétences nécessaires à leur reconversion vers leur futur poste dans les VOC. Cette « formation générale » est, à son tour, divisée en trois phases d’un an, correspondant aux trois années du contrat d’intérim. A la fin de chaque année, entre tous les stagiaires, un pourcentage serait choisi pour suivre la phase suivante de la formation en fonction de leur taux de présence aux cours et de leurs notes, ainsi que sur les résultats d’un test général évaluant les capacités de chaque candidat.
Cette formation générale a été imaginée par les équipes de TCT, avec l’aide des facilitateurs. La phase 1 qui s’est achevé en août 2015 a porté sur les concepts généraux de la gestion d’entreprise, la gestion de contrat, le cadre juridique des entreprises sud-africaines, les concepts d’offre et de demande en matière de transport et enfin les principes de fonctionnement et de gestion d’un système de bus moderne. La phase 2 sera composée de cours plus spécifiques visant à former les participants à des postes bien spécifiques tels que responsable administratif, responsable des ressources humaines ou responsable financier. Enfin, la phase 3 consistera en une approche plus technique basée sur un système de tutorat apporté par GABS visant à apporter une expérience concrète aux futurs acquéreurs des postes dans les VOCs. En effet, les participants du programme suivraient les employés de GABS afin de pouvoir profiter de leur savoir-faire et de s’en inspirer.
Dans le but de maximiser les chances de réussite d’un tel programme, le choix de ces cours fut le fruit de longues réflexions au sein de l’équipe organisatrice. Le premier et considérable obstacle au bon déroulement de ces cours fut la perpétuelle rivalité entre les propriétaires de minibus-taxis et la municipalité. Aucune confiance n’aurait été accordée de la part des participants si les cours avaient été dispensés par la municipalité elle-même. Pour cette raison, des appels d’offre ont été rédigés afin de choisir les prestataires les plus appropriés et qualifiés pour présenter les cours aux acteurs du secteur minibus. L’important était d’apaiser le climat de tension afin de favoriser l’échange et de permettre le partage de connaissance le plus efficacement possible.
Points forts et obstacles de la première phase de la formation
Suite à des entretiens avec les stagiaires de la formation et avec les enseignants de la même, il apparaît que le programme a particulièrement permis d’améliorer les relations entre le secteur des minibus-taxis et la municipalité de Cape Town. En effet, l’implication de GABS a constitué la première étape de l’élaboration d’une relation de confiance. Lors de l’annonce du programme, quelques réticences ont été manifestées de la part des acteurs de la municipalité concernant son utilité et sa réelle portée. Cependant, chacun des acteurs a finalement compris les enjeux autour de cette formation.
L’utilisation d’intervenants neutres a permis de renforcer la crédibilité de la formation par le secteur des minibus-taxis. Toutefois pendant les séances, l’objectif est de favoriser les interactions entre la municipalité et le secteur minibus-taxis et ainsi créer une relation bilatérale. Cela permet à la municipalité de mieux comprendre le système de fonctionnement du transport artisanal et inversement. Cela permet aussi de mettre un terme à un climat de tension entre ces deux acteurs majeurs du transport en commun. Ainsi, les espaces académiques de la formation ont permis au secteur du transport artisanal de connaître les démarches entreprises et futures de la ville ayant comme objectif une intégration des minibus-taxis dans le système de transport public à venir.
Une des critiques formulées envers la phase 1 du programme fût son contenu jugé trop théorique par les stagiaires. Un grand nombre de participants, même s’ils satisfaits du programme, auraient désiré que le contenu soit d’avantage pratique. Il est donc important que les cours s’accompagnent d’exercices afin que les stagiaires puissent mettre en application ce qui a été assimilé durant les cours théoriques.
La municipalité de Cape Town, pour réaliser ce programme, a mobilisé une somme relativement importante, soit un total de 7,5 millions de Rand (approximativement 500 000 €). Cette somme était attachée au programme MyCiTi. Ainsi, la pérennité du financement serait potentiellement un obstacle ; notamment si les phases suivantes de la mise en place du réseau MyCiTi n’ont pas les ressources financières élevées des premières phases du programme (Phase 1 et Phase 2).
Recommandations pour la réalisation d’un tel programme dans d’autres villes africaines
Un tel programme de formation des conducteurs de minibus peut être mis en œuvre dans d’autres pays africains confrontés à des enjeux similaires à ceux de Transport for Cape Town et les acteurs locaux du secteur artisanal. Pour le bon déroulement, nous proposons d’un programme d’une telle ampleur, nous proposons ici quelques recommandations.
Une telle formation doit permettre de créer une relation de confiance entre le secteur du transport artisanal et les responsables métropolitains qui est rarement pré-existante. Typiquement en Afrique Subsaharienne, non seulement les deux composantes ont des logiques et des natures contraires mais elles manquent souvent de transparence et ne développent pas des liens durables entre elles.
Pour un programme d’une telle envergure, il ne faut pas négliger que l’éventuelle non transparence de l’autorité publique puisse être un obstacle majeur. La dissimulation d’informations notamment concernant la suite des évènements et des enjeux à venir peut instaurer un climat de méfiance entre les acteurs et par là l’échec plus que probable du programme. Par ailleurs, il est préférable que ce type de programme soit menée par une autorité locale plutôt que nationale. Cela facilite la mise en place de ce climat de confiance dans la mesure où il s’agit de l’échelon le plus proche des opérateurs de minibus taxi. Dans la mesure où, dans de nombreux Etats Africains, le ministère des transports conservent encore un rôle important dans la gestion des transports urbains.
La fragmentation du secteur du transport artisanal se présente également comme un véritable obstacle car elle pénalise la représentativité du secteur. La multiplication d’acteurs au sein secteur du transport artisanal se traduit par une concurrence intrinsèque entre eux ; cette concurrence, combinée à un nombre limité de places pour une hypothétique formation, peut produire un déséquilibre de connaissance et d’accès aux informations dans le secteur artisanal. Une telle dynamique peut mettre en question la transparence d’un tel programme ainsi que la relation de confiance entre certains acteurs et les responsables locaux.
Un grand nombre de pays africains ont un besoin urgent de réorganiser leur système de transport reposant largement sur le secteur artisanal pour offrir une meilleur qualité et quantité de services aux populations. De fait, un programme comme celui-ci apparait comme pertinent dans un processus de réforme. Il peut être accueilli positivement par les opérateurs locaux tant qu’il est jugé attractif par ces derniers.
Enfin, il est important de rappeler que le projet de BRT MyCiTi a été l’élément qui a permis développer un tel programme de formation à Cape Town. C’est grâce au projet de BRT que des ressources financières ont été mobilisées pour permettre la réalisation d’un projet de cette ampleur et de cette importance. Par ailleurs, cela permet d’inscrire la réforme du transport artisanal dans un projet emblématique qui assure un appui politique dans la durée.
Remerciements:
Nous remercions particulièrement Herrie Schalekamp, chercheur au Centre for Transport Studies (CfTS) de l’University of Cape Town (UCT) – et Nico MacLachlan (ODA) qui ont permis la réalisation de ce travail.