La restructuration du système du transport urbain de Dakar : Quel rôle pour les taxis collectifs « clando » ?
La restructuration du système du transport urbain de Dakar : Quel rôle pour les taxis collectifs « clando » ?
– un article de Modou Diaw, consultant spécialiste transport urbain CODATU –
Introduction
Depuis plusieurs années, l’État du Sénégal, par l’entremise du Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD) a consenti à des efforts considérables sur l’organisation et la modernisation du transport urbain de Dakar. En 2019, cette dynamique se confirme avec le lancement des chantiers des réseaux de Bus Rapid Transit et le Train Express Régional. Le développement de ces réseaux de transport en site propre soulève de nouveaux défis : comment assurer l’inter-connectivité des deux futurs modes de transport de masse (BRT et TER) avec les autres modes de transports existants en vue de promouvoir une cohérence globale du réseau du transport collectif de Dakar ? L’enjeu est essentiel, puisque d’après les études prévisionnelles menées par le CETUD, le bon fonctionnement et la rentabilité du BRT et TER dépendent entièrement de l’articulation avec les autres modes de transport du système de mobilité dakarois. Ces études ont en effet montré que la fréquentation du BRT sera assurée à 60% par des bus de rabattement et celle du TER à 90%.
Afin d’assurer la cohérence du réseau et l’usage de chaque mode de transport dans son domaine de pertinence, le CETUD propose en Juin 2016, dans un document de travail sur la stratégie de rabattement, de réorganiser le réseau de transport urbain de Dakar selon une logique de complémentarité et de hiérarchisation. Cette ambition suppose de prendre en compte l’ensemble des modes de transport, y compris les services artisanaux et informels, qui jouent un rôle essentiel dans le système de mobilité dakarois puisqu’ils assurent 36 % des déplacements en transport collectif en 2015 (EMTASUD,2015).
Cette volonté de moderniser le système du transport urbain de Dakar doit donc nécessairement impliquer une prise en compte accrue de ces modes. Parmi ces services de transport non structuré, les taxis collectifs, communément appelés les taxis « clandos », contribuent fortement à la satisfaction des besoins de déplacements des dakarois (12 % de la part modale (1)). Cette part importante s’explique par le manque d’articulation entre transport et urbanisme, l’urbanisation continue et l’étalement urbain, ce qui rend difficile la desserte fine du territoire métropolitain par les services de transports conventionnels. Ces différents processus expliquent l’essor fulgurant des taxis « clandos » dans certaines zones. Ainsi, en raison de leur flexibilité, les taxis « clandos » contribuent à la satisfaction des besoins de déplacement des usagers, notamment en ce qui concerne le « dernier kilomètre ».
Toutefois, jusqu’à présent, on déplore un manque de reconnaissance et d’intégration de ces acteurs dans les mesures mises en œuvre par les autorités publiques. Ainsi, en dépit de leur rôle essentiel dans le système de mobilité dakarois, il faut admettre que le fonctionnement actuel des taxis « clandos » ne leur permet pas de jouer un rôle de complémentarité dans le futur système du transport intégré de Dakar. Dès lors, il semble essentiel d’améliorer la prise en compte et l’organisation des « clandos » dans les politiques publiques, afin qu’ils jouent pleinement leur rôle dans le système de transport intégré dakarois.
Dans cette optique, cet article présente une démarche expérimentale menée en 2015 par le CETUD visant à professionnaliser le secteur, à améliorer la qualité des véhicules et à intégrer ces services dans l’offre de transport publique institutionnelle. Afin de bien préciser les enjeux de ce projet pilote, nous allons tout d’abord présenter le système de mobilité dakarois (section 1). Nous présenterons ensuite comment sont apparus les taxis « clandos », quels sont les acteurs et les méthodes d’exploitation de ce réseau et soulignerons le rôle joué par ces taxis « clandos » sur les déplacements des dakarois (section 2). Pour conclure, nous présenterons le projet pilote de taxis de banlieue ou « TATA Magic » expérimenté, et dont le but est d’améliorer l’organisation et l’intégration de ce mode dans le système de mobilité de Dakar (section 3).
1. Le système de mobilité dakarois
Avant de préciser l’origine et le contenu de ce projet pilote, il convient donc tout d’abord de préciser quels sont les différents services de transport publics qui opèrent dans le grand Dakar. L’offre est constituée d’un ensemble de modes différents que nous pouvons classer en deux groupes, à savoir : les modes structurés et les modes non-structurés. Les modes structurés proposent des services qui respectent les conditions d’exploitation définies par l’Autorité Organisatrice des Transports urbains de Dakar, le CETUD (section 1.a). En revanche, les modes non-structurés rassemblent les services de transport flexibles qui sont exploités selon des méthodes qui sont définies directement par les exploitants (section 1.b).
a. Présentation de la région de Dakar
Dakar, capitale économique et administrative du Sénégal, s’étend sur 550 km², soit 0.3% du territoire national et est limitée sur ses parties ouest, nord et sud par l’Océan Atlantique et à l’est par la région de Thiès sur environ 30 km.
La région de Dakar est organisée administrativement en départements, subdivisée en arrondissements et constituée de communes. Le département de Dakar constitue le centre-ville avec la commune du Plateau comme hyper-centre et les trois autres départements (Pikine, Guédiawaye et Rufisque) constituent la banlieue.
La carte ci-dessous indique la densité de la population de l’agglomération de Dakar. La population actuelle réside largement dans les trois départements de Dakar, Guédiawaye et Pikine. La population est très dense dans les départements de Dakar et de Pikine (72,3 % de la population totale de Dakar). Les services de transport structurant font principalement la liaison entre le centre de la ville de Dakar et les périphéries (banlieue), et sont à saturation. Dans ce contexte, le transport non conventionnel permet de satisfaire les besoins de déplacement de la population, ce qui explique sa présence massive dans toute l’agglomération.
Figure 1 : Répartition de la population de Dakar et principaux services de transport.
Source :PDU de Dakar, horizon 2035 https://www.pdudakar.gouv.sn/
b. Les modes de transports structurés
Les modes structurés offrent des services conventionnés. Cela signifie qu’il existe un contrat de convention entre les exploitants et le CETUD. Ces services rassemblent les réseaux DDD, AFTU, PTB et les taxis urbains.
– Le réseau Dakar Dem Dikk (DDD) (photo 1)
Il est opéré par une société anonyme créée en 2000 suite à la liquidation de la Société de Transport en Commun du Cap-Vert (SOTRAC). Elle est concessionnaire de l’exploitation du réseau de transport public de personnes par le biais d’autobus de plus de 50 places. Son offre de transport est constituée de 24 lignes sur lesquelles opèrent une flotte de 600 bus, et le service est emprunté par 50 millions d’usagers chaque année.
Photo 1 : Un bus de Dakar Dem Dikk. Crédit photo : Auteur, 2019
– Le réseau l’Association du Financement des Professionnels du Transport Urbain de Dakar (AFTU) (photo 2)
Ce réseau est aussi organisé par la puissance publique, notamment par le CETUD. Il est constitué d’anciens services de transport artisanal et informel qui ont été structurés à travers un ambitieux programme de renouvellement de la flotte et d’intégration de l’offre achevé en 2005 (2). Cette modernisation s’est basée sur le renouvellement du parc des Cars Rapides et Ndiaga Ndiaye, décriés en raison de leur vétusté et leur non-conformité aux exigences de sécurité et de respect des normes environnementales, par des minibus neufs offrant une meilleure qualité de service. Ces derniers constituent le réseau AFTU et adoptent une nouvelle méthode d’exploitation basée sur la desserte de lignes régulière et sur de nouveaux rapports entre les usagers et le personnel navigant.
Photo 2 : Exemple d’un minibus d’AFTU. Crédit photo : Auteur, 2019
– Le réseau Petit Train Banlieue (PTB) (photo 3)
C’est l’exploitant ferroviaire qui assure le transport urbain de passagers entre Dakar et sa banlieue sur un tronçon de 27 kilomètres. Cette société a été créée en 1987 et portait jusqu’en 2003 le nom de « Petit Train Bleu » et était exploitée par la Société Nationale des Chemins de fer du Sénégal (SNCS). Le 2 juin 2003, elle a été constituée sous forme d’une société anonyme dont le capital est entièrement détenu par l’État sous le nom de Petit Train de la Banlieue (PTB). Son offre de transport est constituée d’une ligne unique (Dakar-Rufisque) et est empruntée par 5 millions de personnes chaque année. Aujourd’hui, avec l’arrivé du TER, le PTB est menacé de disparaître.
Photo 3 : Le Petit Train de Banlieue sur la ligne Dakar-Rufisque. Crédit photo : Auteur, 2019
– Les taxis urbains (photo 4)
Les taxis urbains opèrent sur l’ensemble de l’agglomération, en principe avec des tarifs fixés par l’autorité compétente pour chaque destination, mais se prêtant souvent à un tarif négocié. Leur exploitation repose sur la pratique de la maraude, à la recherche du client sur l’espace de voirie. Les taxis urbains ont été institutionnalisés en 1967. Le parc de taxis urbains est estimé présentement à environ 21 014 unités pour la région de Dakar. Depuis 2016, la délivrance des licences des taxis urbains a été gelée par les autorités en raison d’une saturation de l’offre. Malgré cette suroffre, le parc actuel des taxis urbains, avec un âge de moyenne de 18 ans, reste vétuste.
Les opérateurs DDD, AFTU et PTB doivent respecter les obligations et contraintes imposées dans le cadre d’une mission de service public. Ces derniers doivent à ce titre respecter les principes suivants : la régularité, la ponctualité, le confort, la sécurité, l’application des tarifs officiels, etc.
Photo 4 : Les taxis urbains dans la gare urbaine de Colobane. Crédit photo : Auteur, 2019
c. Les modes de transports non-structurés
Contrairement aux transports structurés, les modes non-structurés ne sont pas organisés par la puissance publique. Certains sont autorisés et légalisés par la réglementation en vigueur, en revanche, d’autres ne sont pas autorisés explicitement par la loi, mais sont tolérés en raison de la situation déficitaire de l’offre du transport formel. Parmi ces modes on peut citer : les Cars Rapides (CR) (photo 5), les Ndiaga Ndiaye (NN) (photo 6), et les clandos (photo 7).
Les CR sont des minibus de marque Renault SG2 (agréés pour 25 places) et Renault SG3/4 (agréés 35 places). Les NN sont des Mercedes agréées pour 35 à 40 places. Ces minibus portent le nom de l’opérateur qui détenait le plus important parc de ce type de véhicule.
Photo 5 : exemple d’un minibus de Car rapide. Crédit photo : Auteur, 2019
Photo 6 : exemple d’un minibus de Ndiaga Ndiaye. Crédit photo : Auteur, 2019
Les taxis clandestins sont des véhicules de particuliers sans signe distinctif (photo 7) qui opèrent en toute illégalité, sans autorisation et sans payer de taxes spécifiques liées à l’activité. Certains opèrent à partir de stations créées de fait, tandis que d’autres racolent le client, notamment aux arrêts d’autobus.
Photo 7 : des usagers de taxis clandos en rang dans le garage du « rond-point 6 ». Crédit photo : Auteur, 2019
A l’instar des villes africaines, la marche à pied reste le mode de transport le plus utilisé par les Dakarois. Selon les données de l’enquête ménage de 2015, sur les 7 204 826 de déplacements quotidiens effectués par les dakarois, 5 038 832 sont assurés par la marche à pied – soit un taux de 70% – et les 30% restant sont effectués en modes motorisés.
Concernant le transport motorisé, 88,5% de ces déplacements sont assurés par le transport collectif. La figure ci-dessous illustre la part modale des différents services de transport collectif. Le transport structuré représente une part de 52,5% avec une forte présence des minibus Tata (35%), suivie des taxis urbains (10,5), DDD (6%) et PTB (1%). Les modes non-structurés assurent 36% des déplacements motorisés. Les Cars Rapides sont les plus utilisés (20% des déplacements motorisés), viennent ensuite les taxis « clandos » (12%) et enfin les Ndiaga Ndiaye (4%).
Figure 2 : les parts modales des différents services de transport collectif. Source : EMTSAUD, 2015
Afin de mieux comprendre l’importance de la part modale assurée par le transport non-structuré, il est nécessaire de décrire plus précisément la nature du service fourni par les taxis clandos.
2. Service de taxis clandos : origines, acteurs et méthodes d’exploitation
Nous allons tout d’abord présenter comment sont apparus les taxis clandestins (2.a), puis leur méthode d’exploitation (2.b) Enfin, nous soulignerons le rôle qu’ils jouent dans le système de mobilité dakarois (2.c).
a. Apparition et évolutions des clandos
Deux types de taxis clandestins ont opéré leur service dans l’agglomération de Dakar. Il s’agit des taxis de banlieue, de couleur vert et blanc, qui ont progressivement été remplacés par les taxis clandestins, communément dénommés taxis « clando ».
Les taxis de banlieue ont été autorisés en 1979. Ces derniers circulaient seulement en banlieue et n’avaient pas l’autorisation de pénétrer en centre-ville. Présentement, les taxis de banlieue n’existent plus dans le système du transport urbain de Dakar. Ils ont été substitués par les taxis « clandos » qui sont apparus en 1980. Contrairement aux taxis urbains et de banlieue, les taxis « clandos » ne sont pas autorisés et sont dépourvus de signe distinctif. N’importe quel conducteur peut effectuer ce service, raison pour laquelle il est impossible de définir l’ampleur de la flotte. Ils se regroupent à des points précis (dénommés « garages »), assurant ensuite la desserte fine des quartiers. Ils circulent dans toute l’agglomération mais sont surtout présents dans les secteurs où l’offre de transport reste déficitaire, notamment en banlieue.
b. Une exploitation commerciale entièrement définie par les chauffeurs
Contrairement aux modes structurés, les taxis « clandos » constituent un mode de transport flexible avec des méthodes d’exploitation qui leur sont propres. Nonobstant le fait qu’ils offrent un service public, il n’existe pas de contrat formel entre les opérateurs de ce mode et le CETUD qui définisse les conditions d’exploitation du réseau. Les exploitants de ce mode fournissent donc un service sans pour autant respecter les obligations et contraintes imposées aux modes structurés qui remplissent une mission du service public (la régularité, la ponctualité, le confort, la sécurité, l’application des tarifs officiels, etc.).
Comme la majorité des systèmes de transport artisanal, la méthode d’exploitation des taxis « clandos » est centrée essentiellement autour du chauffeur. C’est lui qui définit les itinéraires, les heures de travail et leur amplitude en fonction de la demande et de son appréciation. Le chauffeur est également responsable des charges d’exploitation, de la maintenance et du versement d’une somme journalière lorsque le véhicule ne lui appartient pas. Cette somme est souvent à payer à la fin de chaque semaine.
Malgré l’absence d’une organisation formelle pour l’exploitation des taxis « clandos », les exploitants ont développé un système organisationnel afin de garantir le bon fonctionnement de leur service et ainsi assurer la rentabilité de leur activité. A cet effet, les « coxeurs » jouent un rôle essentiel dans cette organisation interne. Le « coxeur » est un individu tiers, localisé au niveau des points de prise en charge des passagers (garages ou lieux de correspondance), où il est responsable de l’organisation du chargement des véhicules en fonction de leur ordre d’arrivée et de leur destination. Il est rémunéré sous la forme de commissions variant entre 100 et 150 FCFA par véhicule qui prend départ.
D’un point de vue social et économique, il importe de noter que l’activité des taxis « clandos » est pourvoyeuse d’emplois pour les jeunes mais aussi pour les retraités. Certains employés investissent leurs primes de retraite dans les services des taxis « clandos ». En effet, l’absence de barrière à l’entrée, et le faible investissement que nécessite cette activité leur permet de subvenir à leurs besoins journaliers.
c. Une forte contribution sur les déplacements des Dakarois
Les taxis « clandos » sont attractifs et participent fortement aux déplacements des usagers. Selon les résultats de l’enquête ménage de 2015, 12% des déplacements motorisés du transport collectif sont assurés par les « clandos ». Ce niveau élevé de part modale peut s’expliquer par le déficit de l’offre de service de transport du secteur formel (PTB, DDD et AFTU). Une situation qui s’explique en raison de facteurs endogènes au réseau de transport formel, mais aussi en raison de facteurs exogènes.
D’un point de vue endogène, le niveau de services (offre en lignes et matériels roulants) des modes structurés est jugé inadéquat pour répondre à la demande de transport existante. En outre, la flotte de véhicules de ces réseaux se dégrade années après années, en raison des problèmes de financement et de maintenance du parc.
Outre ces dysfonctions internes, des dysfonctionnements externes viennent s’ajouter, tels que la gestion de la circulation et le déficit d’infrastructures. En effet, en raison des niveaux de congestion actuels dans la ville de Dakar, les pertes de temps sont très importantes pour les services de DDD et d’AFTU. Les temps de parcours des bus sont généralement longs et les usagers sont retardés dans leurs déplacements. Il faut noter que le déficit d’offre de service de transport et de mobilité et la qualité de l’infrastructure routière constituent aussi une limite sur les dessertes d’AFTU mais surtout de DDD. Concernant les DDD, ces bus rencontrent des difficultés pour desservir dans les meilleures conditions tous les quartiers, notamment ceux de la banlieue où l’offre de l’infrastructure reste déficitaire. Cette situation impacte la perception de la qualité du service offert aux usagers.
L’attractivité des taxis « clandos » peut s’expliquer aussi par la qualité du service. Pour mieux gagner leur part de marché face aux modes structurés, les clandos se placent souvent sur les axes secondaires pour desservir les quartiers périphériques en privilégiant des lignes courtes et fixes. Cette méthode d’exploitation se traduit par une fréquence élevée de l’offre, et favorise leur accessibilité et leur disponibilité pour les usagers. En outre le maillage offert par les taxis « clandos » est relativement dense, comme on peut l’observer sur la Figure 2, qui présente l’ensemble des lignes desservis par ces véhicules dans la ville de Dakar.
Même si c’est un aspect complexe à justifier, il semble que les taxis « clandos » contribuent à la diminution du recours à la voiture particulière. En effet, les difficultés de stationnement en centre-ville (Plateau) amènent un certain nombre d’automobilistes habitant dans les quartiers périphériques à utiliser les taxis « clandos » pour se rendre en ville. Cette pratique favorise alors un report modal. A titre d’exemple, les taxis « clandos » en activité à proximité du garage du rond-point « Liberté 6 » servent de relai entre la banlieue et le centre-ville pour les usages des voitures privés.
Figure 3 : Plan des lignes des taxis « clandos ». Source : CETUD, 2019.
Si les taxis clandos sont présentés comme des éléments inadéquats dans une vision « moderne » du système du transport urbain de Dakar, il est clair qu’ils en demeurent un maillon important. Grace à leur flexibilité sur les tarifs qui restent accessibles à toutes les classes sociales, leurs amplitudes de service en termes d’horaire et leurs dessertes fines et variées, ils contribuent activement à la satisfaction des besoins de déplacements des Dakarois (12% de la part modale du transport public).
Par conséquent, il apparaît primordial de réguler ces services en prenant en compte leurs atouts et fonctionnalités afin d’avoir un système de transport efficient, efficace et accessible. C’est là l’objet du projet pilote lancé en 2015.
3. Un pas vers la hiérarchisation des modes de transport : le projet de transport de proximité à Dakar pour une meilleure organisation des clandos
Partant de la stratégie de rabattement proposée par le CETUD pour la restructuration globale du réseau de transport collectif de Dakar (3 a), nous allons décrire le projet de transport de proximité comme modèle de modernisation et d’organisation des taxis « clandos » (3 b). Pour finir nous verrons les impacts et enjeux de ce projet (3 c).
a. Le modèle de hiérarchisation des modes de transport proposé par le CETUD
Dans sa mission de réguler l’offre et la demande de transport en commun, le CETUD se doit d’organiser tous les modes de transport existant à Dakar.
Pour ce faire, le CETUD propose de hiérarchiser le réseau de transport urbain de Dakar à travers un cadre global de restructuration des services, en préconisant l’attribution de véhicules spécifiques pour chaque catégorie du réseau :
1. premier niveau : le transport de masse (BRT et TER) sur des lignes spécialement aménagées,
2. deuxième niveau : le réseau de bus prioritaire, notamment le rabattement BRT/TER ;
3. troisième niveau : les autres lignes de bus restructurées (DDD et AFTU) et via des petits véhicules du genre taxis collectifs pour les dessertes fines à l’intérieur des quartiers
Pour être efficace, la modernisation prônée par les autorités doit être globale : elle doit donc s’appliquer également au système de transport par taxis urbains, et aux véhicules dénommés « clandos » opérant aussi bien dans les autres départements que dans les quartiers périphériques de Dakar. Après le succès de la réforme du sous-secteur des transports urbains à Dakar et la perspective d’étendre le processus de modernisation à l’activité des taxis urbains, les autorités ont demandé au CETUD d’inclure le transport de taxis collectifs situés dans les banlieues dans le projet de rationalisation de l’offre de transport.
C’est dans ce sens qu’a été lancé en 2015 le projet de transport de proximité, dit « TATA Magic » dans les départements de Pikine et de Rufisque. Ce projet pilote vise à l’organisation et la modernisation des taxis « clandos ». Le projet envisagé est appelé à répondre au niveau n° 3 de la hiérarchie du secteur des transports. Il concerne donc le transport de proximité assuré pendant longtemps par les taxis « clandos », globalement très vétustes.
b. Le projet de taxis de banlieue ou « TATA Magic »
L’expérience de ce projet de taxis de banlieue communément « TATA Magic » a été lancée officiellement le 07 juin 2015 dans les départements de Pikine et Rufisque.
L’opération a été décidée par le Ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement (MITTD) qui en a confié la maîtrise d’œuvre au CETUD.
L’organisation montre des points communs avec celle du programme des minibus achevés en 2005, qui avait consisté à :
– (i) regrouper les opérateurs (propriétaires) au sein de Groupements d’Intérêt Économique (GIE) ;
– (ii) renouveler leur flotte de véhicule à travers une prime à la casse et le soutien des pouvoirs publics pour l’attribution de prêts bancaires
– (iii) imposer des obligations de qualité de services en lien avec la notion de service public (régularité, confort, sécurité, tarifs officiels).
Toutefois, contrairement au programme du renouvellement des minibus, avec le projet de transport de proximité, les anciens taxis « clandos » ne sont pas directement retirés de la circulation.
L’objectif du projet « TATA Magic » est que les dessertes de troisième rang du nouveau modèle d’organisation des transports de Dakar soit dorénavant opérées avec des véhicules plus spacieux et confortables pour l’usager, permettant de transporter davantage de passagers, et améliorant ainsi le niveau de recette de l’opérateur.
Le projet pilote a dans un premier temps consisté à fédérer les opérateurs à travers la création de GIE afin qu’ils s’organisent pour acquérir les véhicules et exploiter collectivement les premiers tronçons du réseau de lignes Magic. L’exploitation du réseau est concédée à ces GIE qui se sont également vu attribués de nouveaux véhicules TATA « Magic » de 8 places.
L’opération a porté, dans un premier temps, sur une vingtaine de véhicules attribués à deux GIE. Au regard de l’engouement des usagers pour ce nouveau type de véhicule et de la satisfaction des propriétaires qui disent trouver leur compte dans l’exploitation dudit véhicule, l’expérience a au bout d’un an a été élargie à un parc d’une centaine d’unités. Ainsi, à la fin de l’année 2016, les véhicules de type « Magic » mis en circulation dans les départements de Pikine et de Rufisque sont au nombre 101 unités. Deux autres GIE furent créés au moment de l’augmentation du parc.
Outre les GIE, une organisation faîtière, dénommée « Réseau des Taxis de Banlieue » (RETAB) a été mise sur pied : elle est censée réunir l’ensemble des GIE d’opérateurs engagés dans le processus de modernisation de l’activité des taxis collectifs dans la zone suburbaine de Dakar.
Le CETUD a été chargé d’homologuer le tracé des lignes, de définir le nombre de véhicules minimum sur chacune d’elles et d’assurer la formation initiale des opérateurs et de leurs personnels. Avec l’appui du CETUD, un système de de billetterie électronique a été mis en place par les GIE à bord des véhicules, facilitant la gestion des recettes, mais aussi l’obtention de données pour la planification de l’offre.
La caractéristique principale de ce réseau est qu’il s’agit de lignes de proximité confinées dans un périmètre géographique délimité. Il s’agit également de lignes relativement courtes, dont la moyenne ne dépasse pas les dix kilomètres. Le temps moyen d’un trajet est de l’ordre de dix minutes.
Ces lignes répondent à des besoins de déplacements locaux à l’intérieur des départements pour, essentiellement, des transports de rabattement sur des modes plus lourds, ou pour les effectuer les derniers kilomètres d’un trajet.
L’adhésion des usagers à ces nouveaux services a été rapide car ils sont venus combler une défaillance de l’offre de déplacements qui jusqu’alors étaient majoritairement effectués à pied. Entre 2015 et 2017, chaque véhicule du système « TATA Magic » a transporté en moyenne plus de 6 600 passagers par mois, soit environ 220 personnes par jour (Cetud, 2017). Le « TATA Magic » est devenu, en moins de deux ans, un acteur essentiel du dispositif du transport en commun à Dakar. En effet, le « TATA Magic » connait un usage intensif : selon une enquête menée en 2017, 79 % des personnes interrogées déclarent effectuer 2 à 4 déplacements par jour par le « TATA Magic » et il s’agirait à plus de 75 %, de motifs liés au travail, à l’école et aux achats (marché). Le succès de ce service semble indiquer qu’il répond à un besoin réel et à différents types de pratiques.
c. Impacts et enjeux du projet « TATA Magic »
Globalement, le projet pilote a eu de nombreuses retombées positives. En matière d’organisation de l’exploitation, des avancées encourageantes sont en effet constatées, concernant la mutualisation de l’exploitation ; la gestion des recettes et dépenses ; la réduction de la concurrence entre les différents opérateurs (4).
Cette amélioration de l’offre et cette mutualisation constituent ainsi un pas intéressant vers l’objectif visé de transformer les GIE en de véritables sociétés de transport. Celles-ci pourraient alors devenir des entités aptes à signer des contrats de concession de réseaux avec l’autorité chargée de l’organisation et de la régulation du système de transport.
On déplore toutefois plusieurs problèmes persistants :
• Au début du projet, le parc de « TATA Magic » ne disposait pas de licences. Cette situation était mal vécue par les exploitants, contraints de subir les arraisonnements des forces de l’ordre et, souvent, de payer des contraventions pour non-respect du cadre règlementaire du transport urbain. Mais cette situation a été finalement résolue. Le parc dispose maintenant de licences d’exploitation.
• Dans leur grande majorité, les chauffeurs ne sont pas formellement recrutés, même si certains GIE affirment s’acquitter, en même temps que certaines taxes locales, de l’impôt sur les salaires. En l’absence de contrat de travail, les personnels ne bénéficient d’aucune protection sociale (Caisse de sécurité sociale) et ne sont pas affiliés à l’IPRES (5).
• Un déficit d’encadrement des opérateurs est observé (de la part du CETUD) dans le choix des itinéraires et pour déterminer le nombre de véhicules à mettre sur chacune des lignes. L’observation montre en effet que, sur certaines lignes, le nombre de véhicules est nettement insuffisant pour faire face à l’affluence des usagers. Ainsi, les véhicules partent souvent plein des terminus et n’ont donc plus, compte tenu par ailleurs de leur faible gabarit, la possibilité de prendre les passagers qui les attendent sur le parcours. Un bon encadrement aurait consisté, à défaut d’accroître le nombre de véhicules dans la phase test, à aider les opérateurs à mieux se concentrer sur un nombre limité de lignes sur lesquelles il serait alors possible d’offrir une meilleure qualité de service.
• Les taxis clandos continuent d’opérer et concurrence donc les « TATA Magic », bien qu’ils aient modifié leur méthode d’exploitation et le tracé des itinéraires.
• Un manque d’infrastructures (routes) de qualité empêche la desserte de plusieurs zones où une demande solvable existe pourtant.
En octobre 2019, le CETUD a décidé de poursuivre et d’élargir le projet dans l’agglomération de Dakar avec des améliorations au niveau organisationnel, technique et réglementaire. Le TATA Magic a été remplacé par un autre véhicule de marque CHANA. Au lieu de Réseau de Taxis de Banlieue (RETAB), le projet a également changé de nom. Il s’appelle désormais Réseau de Transport de Proximité (RETAP). Ainsi la zone d’intervention ne se limite plus dans la banlieue mais dans toute l’agglomération dakaroise où le CETUD juge leur utilité à y opérer. Le CETUD a également pour objectif, à travers les conventions de concessions qui seront signées avec les exploitants du projet, de chercher une complémentarité avec les réseaux existants de l’AFTU et de Dakar Dem Dikk, en tenant en compte la restructuration globale du réseau de transport collectif en cours avec l’introduction des transports de masse à Dakar, à savoir les projets de Bus Rapid Transit (BRT) et de Train Express Régional (TER).
Conclusion
L’extension de ce projet pilote pourrait être une alternative pour réduire la part de marché des taxis « clandos », voire même pour permettre leur remplacement dans le long terme. Autrement dit, la poursuite du projet de transport de proximité est une solution intéressante pour enclencher une modernisation de l’offre et améliorer l’organisation des taxis « clandos ». Pour ce faire, il convient d’élargir ce projet dans toutes les zones où la question du dernier kilomètre est la plus problématique afin de créer une complémentarité entre les différentes offres de transport.
Pour la réussite de la modernisation et de l’organisation des taxis « clandos », il serait nécessaire de prendre des mesures d’accompagnement qui représentent encore à ce jour un point d’achoppement pour permettre le véritable succès du projet. En effet, les autorités pourraient développer des stratégies pour une meilleure acceptation et intégration des opérateurs des taxis « clandos ». Pour ce faire, il serait opportun que le CETUD aide ces operateurs à se professionnaliser à travers des renforcements de capacité et des séances d’information. Cela autoriserait les exploitants à mieux comprendre les enjeux du projet et à se l’approprier afin d’améliorer leur qualité de service tout en consolidant leur rôle central pour construire une complémentarité dans le système de transports urbains dakarois.
(1) Données de l’Enquête ménages sur la mobilité, le transport et l’accès aux services urbains dans l’agglomération de Dakar (EMTSUDD,2015)
(2) Au début des années 90, l’Etat du Sénégal, avec l’appui de la Banque mondiale s’est engagé dans une dynamique d’organisation et de modernisation du transport urbain de Dakar.
(3) Les véhicules individuels étant désormais placés sous une autorité unique, ils n’ont plus à se faire la concurrence dans le réseau et cela se traduit par une prise en charge disciplinée des usagers qui ne sont plus agressés par le personnel navigant. Les queues que l’on constate sur les principaux points d’affluence des usagers sont la preuve de cette discipline apportée par le Magic. Le manque de terminus et d’espace de stationnement constitue cependant un obstacle au développement du système.
(4) Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal