Portrait Méditerranée : Abdelhamid Gannouni, Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie
Rencontre
avec Abdelhamid Gannouni
Chef de service de l’efficacité énergétique dans le secteur du transport
Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie
Qu’est-ce que l’ANME ?
L’Agence Nationale pour la Maitrise de l’Energie (ANME) est un établissement public placé sous la tutelle du Ministère de l’Energie, des Mines et des Energies Renouvelables de Tunisie. Elle a pour objectif de promouvoir la politique du gouvernement dans le domaine de la maitrise de l’énergie. Ses activités sont réparties selon deux grands thèmes : l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
Pour l’efficacité énergétique, l’ANME intervient dans différents secteurs tels que l’industrie, le bâtiment et les transports. Elle suit et accompagne les entreprises de ces secteurs dans la réalisation d’audits énergétiques. Ces diagnostics sont obligatoires et périodique pour les entreprises dont leur consommation dépasse un certain seuil. Pour les entreprises de transport, ce seuil est fixé à 500 Tonnes Équivalent Pétrole (TEP).
Toutes les entreprises publiques de transport sont obligées de réaliser leurs audits énergétiques. En tout, c’est 280 entreprises qui sont assujetti à cette obligation.
Cet accompagnement se fait grâce au Fond de Transition Energétique, une subvention issue notamment des taxes sur l’importation des véhicules et des climatiseurs. Il permet entre autre de subventionner à hauteur de 70% les audits énergétiques, avec un plafond de 30 000 dinars. Ces audits sont réalisés par des experts auditeurs agréé par l’ANME. Celle-ci participe au choix de l’expert, puis suit et approuve les études.
Pour les actions retenues suite aux audits énergétiques, l’ANME subventionne à 70% les investissements immatériels, à 20% les investissements matériels et à 50% les projets pilotes d’amélioration de l’efficacité énergétique.
L’ANME ne reçoit pas de subventions directe du ministère de tutelle ce qui lui donne une certaine indépendance dans ses activités. Cela permet notamment d’être capable de chercher plusieurs autres sources de financement.
Quel est votre poste au sein de l’ANME ?
Je suis le chef service de l’efficacité énergétique dans le secteur du transport. Mon rôle est de suivre les différents projets en cours relatifs au transport, et de promouvoir les bonnes pratiques énergétiques.
Concernant les audits des entreprises de transport, je prépare les cahiers des charges, participe au dépouillement, suit l’exécution des travaux et valide les résultats avec les entreprises. En général, ces audits sont correctement suivis, mais il arrive que certaines entreprises prennent du retard. La Société des Transports de Tunis (Transtu) n’a par exemple rien fait depuis 2004, alors que c’est une entreprise publique majeure. Nous travaillons avec eux pour réaliser un audit prochainement, et avons aussi proposé des projets à mettre en place immédiatement, à savoir un système de gestion du carburant et des formations du personnel sur la norme ISO 50001.
Le service suit aussi la réalisation des Plans de Déplacements Urbains (PDU) dans toute la Tunisie. Ils sont tous subventionnés à 70% avec un plafond de 70 000 dinars. Aujourd’hui, le PDU de Sousse a été réalisé, celui de Sfax est en cours, et un accord a été trouvé avec le gouvernorat de Nabeul pour le PDU du Grand Nabeul. Nous prévoyons prochainement le financement de PDU dans d’autres villes telles que Gabès, Bizerte, Kairouan et Beja.
Au total, on prévoit la réalisation de 30 PDU d’ici 2020. C’est ambitieux mais réalisable. On se concentre d’abord sur les grandes villes ce qui est lourd en termes de temps et d’argent. Par exemple, le PDU de Sfax a couté environ 820 000 dinars. Mais pour les plus petites villes, ce sera nettement plus rapide, et on pourra même en réaliser plusieurs à la fois.
Enfin, il y a le travail de promotion des technologies qui contribuent à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Nous organisons périodiquement des journées BtoB entre les fournisseurs et les opérateurs des sociétés de transports. Pour les particuliers, ce sont des campagnes de sensibilisation qui sont mises en place. En 2015 étaient ainsi organisées des journées sur le contrôle de la pression des pneus dans toute la tunisien. Des guides de bonnes pratiques d’efficacité énergétique sur le transport ont aussi été réalisés.
Les PDU relèvent plutôt du transport, pourquoi est-ce géré par l’ANME ?
La loi n°2004-72 du 2 août 2004 sur la maîtrise de l’énergie a instauré pour la première fois la notion de PDU et l’a intégrée comme étant une action de maîtrise de l’énergie. Cette loi définit la maîtrise de l’énergie comme un facteur principal du développement durable, en relation étroite avec le développement économique et sociale et avec la protection de l’environnement.
Toutefois, cette réglementation s’est trouvée confrontée à des contraintes d’applicabilité compte tenue de la multiplicité d’intervenants, de son incohérence avec l’organisation institutionnelle des différents secteurs et de la diversité de taille et de structure des entités urbaines.
Pour remédier à cette situation, une modification de cette loi a été opérée en tenant compte des nouvelles dispositions instaurées par la loi 2004-33 portant sur l’organisation des transports terrestres. Ainsi, la nouvelle loi n°2009-7 précise que les PDU ont pour objectif de faciliter les déplacements, de rationaliser la consommation d’énergie et de protéger l’environnement. Ils fixent les règles générales d’organisation du transport de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement dans le périmètre de transport urbain.
Aujourd’hui, les PDU devraient être gérés par les Autorités Régionales Organisatrices des Transports Terrestres (AROTT) prévues dans la loi transport 2004-33. Mais ces AROTT ont toujours pas été mises en place. L’ANME a donc conservé son rôle, et aussi son poids de co-financeur. En revanche, des comités sont mis en places dans les villes réalisant un PDU, et le Ministère du Transport en fait partie.
L’approche énergétique des PDU a aussi permis d’associer la démarche NAMA (Nationally Appropriate Mitigation Actions) en partenariat avec la GIZ, l’agence de coopération internationale allemande pour le développement. Cette démarche vise, à travers des mécanismes de développement, à évaluer et reconnaitre des actions comme écologiques au niveau international, et ainsi les fiancer grâce à des fonds verts dédiés. Cette approche ainsi apportée par l’ANME avec le soutient de la GIZ permettra à des villes comme Sfax de financer les actions de son PDU.
Quels sont les enjeux auxquels fait face l’ANME dans les transports ?
Les problèmes que nous rencontrons se situent sont principalement dus à l’organisation institutionnelle et aux manques de coordination entre les différents organismes. Par exemple, sous la tutelle du ministère de l’environnement, il y a l’Agence Nationale pour la Protection de l’Environnement (ANPE). L’ANPE et l’ANME aurait pu constituer une seule agence, ce qui aurait été équivalent à l’ADEME. Cette séparation résulte de la politique de sectorialisation. Le fait d’avoir deux agences plutôt qu’une aurait permit offrir plus de poids au thème de l’environnement et de l’énergie. Mais c’est finalement un inconvénient car cela engendre une mauvaise organisation et un manque de gestion du secteur. Il y a aussi une agence pour la gestion des déchets et une autre pour la protection des zones côtières. Chaque organisme travail de son côté et gère ses propres contrôles ce qui représente une perte de temps, d’argent et de moyens. Il y a un effort de coordination uniquement pour les études importantes, où chacun essaie d’impliquer l’autre.
Dans le domaine du transport, c’est pareil, l’agence ne peut rien décider sans le Ministère du Transport car ce sont eux les décideurs qui font les textes d’application. Nous avons des idées, mais il est très difficile de les mettre en œuvre à cause de ce manque de concertation.
L’ANME était aussi responsable d’autres projets tels que la création de stations de diagnostics moteurs pour les véhicules. Il existe en effet un texte réglementaire qui dit que les automobilistes doivent réaliser un diagnostic moteur à l’occasion de leur visite technique périodique. Actuellement 140 stations agréées par l’ANME ont été mis en place. Jusqu’en 2013, nous accordions une subvention de 20 % pour ces projets. Mais les centres de visite techniques, gérés par l’Agence Technique des Transports Terrestres (ATTT), agence sous la tutelle du Ministère du Transport, ne demandaient pas les rapports de diagnostic moteurs. Les automobilistes ont donc arrêté de faire ces diagnostics, et l’ANME a arrêté de financer de tels garages devenus inutilisés par manque d’organisation.
Aujourd’hui, nous cherchons à introduire d’ici 2020 les véhicules énergétiquement performants. Avec le ministère du transport, nous comptons mettre en place les textes et laboratoires nécessaires pour l’homologation de ces véhicules. Un autre projet proposé est de différencier l’étiquetage des véhicules, ce qui permettrait d’encourager les utilisateurs à s’orienter vers les véhicules énergétiquement performant et à faire ainsi les meilleurs choix.
Face à ces problèmes de coordination et d’organisation, nous avons proposé la création d’un comité national de mobilité urbaine qui devra faire notamment le suivi de la réalisation des PDU. En effet, pour garantir la pertinence d’un PDU, des secteurs tels que le transport, l’équipement, l’environnement ou l’intérieur doivent intervenir.
Et concernant le transport urbain en général, quel est votre vision du secteur ?
L’enjeu majeur aujourd’hui est de diminuer la circulation des voitures particulières. Cela doit se faire à travers le développement d’un service de transport en commun correct. Quand on regarde les chiffres, le nombre de véhicules particuliers n’a pas particulièrement augmenté en cinq ans, mais c’est leur usage qui a explosé. Les gens qui possédaient une voiture prenaient d’avantages les transports en commun. Avec leur dégradation progressive, les voyageurs ont logiquement abandonné les bus et le métro et se sont tournés vers les modes privés.
De plus, la circulation est mal organisée dans les villes tunisiennes. Les aménagements posent souvent des problèmes avec des voies sont soit trop larges, soit inexistantes, et de mauvaises politiques de stationnement sont suivies. Au lieu de limiter l’accès des véhicules dans les zones urbaines, on s’efforce de trouver plus de places de stationnement ce qui aggrave la situation. Il faut inverser cela.
Un autre point concerne l’absence de stratégie globale des transports. Se limiter aux plans quinquennaux ou avoir une vision sur 15 ou 20 ans ne suffit pas. L’élaboration du Plan Directeur National des Transports à l’horizon 2040 a été lancée ce mois-ci, mais c’est déjà tard. Il existe déjà des nouveaux quartiers sans aucune planification qui nécessitent d’agir aujourd’hui en coordination avec les plans d’aménagement du territoire. La solution pour les villes est de créer des AROTT, mais cela nécessite de passer vite à l’action. Aussi, il faut dès maintenant se coordonner et travailler en attendant la mise en place des AROTT.
La problématique des AROTT fait aussi écho à l’enjeu de décentralisation. On ne peut pas avoir d’AROTT efficace sans une bonne décentralisation. Or, actuellement, des questions de financement et surtout de manque de moyens humains freinent la mise en œuvre de la décentralisation. Afin de trouver des compétences à l’échelle locale, il est nécessaire d’accorder plus d’importance au développement régional.
Pour terminer, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je suis ingénieur en génie mécanique depuis 2003, et ai suivi un master en construction et fabrication mécanique à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis, jusqu’en 2005. J’ai ensuite travaillé dans une société privée de charpente métallique entre 2006 et 2007.
Ayant une bonne formation en mécanique automobile à l’ESIER, j’avais envie de travailler dans le domaine du génie mécanique appliqué aux transports. En 2007, j’ai donc passé un concours public qui m’a permis d’intégrer le service de transport de l’ANME. J’occupe ce poste depuis cette date.
Et comment voyez-vous vos prochaines années ?
Je compte rester encore un certain temps à l’ANME, au moins tout au long du nouveau plan quinquennal, jusqu’en 2020. Nous avons de nombreux projets et je souhaite bien les suivre jusqu’au bout.
Dans le futur, je monterais bien mon propre bureau d’études. Dans les transports, évidemment.
Interview réalisée le 29 novembre 2016