« Les revenus alternatifs pour financer la mobilité urbaine : le « versement mobilité » en France », par Thierry Desclos et Clotilde Minster (Groupe Banque mondiale)
Résumé
Le financement de la mobilité urbaine est un problème auquel sont confrontés tous les pays et ce d’autant plus à mesure que le monde s’urbanise. Cette question a pris une nouvelle dimension avec les récentes préoccupations sur le changement climatique, le développement de nouveaux modes de transport, le débat sur la gratuité des transports dans certains pays et la pandémie COVID-19.
La question se pose de savoir qui doit financer les prestations de transport, usagers ou bénéficiaires au sens large, car le défi pour les pouvoirs publics est de promouvoir le transport urbain en offrant des tarifs bas aux passagers et, en même temps, de limiter les déficits des opérateurs de transport. De par le monde, les responsables nationaux et locaux sont à la recherche de nouvelles sources de financement.
Cet article présente le versement mobilité (VM)[1] français et envisage la possible création d’un impôt similaire dans d’autres pays, en particulier dans les pays en développement.
Introduction
Le monde s’urbanise rapidement, près de deux milliards de nouveaux citadins sont attendus dans les 20 prochaines années. D’ici-là, les populations urbaines d’Asie et d’Afrique devraient doubler et plus de la moitié de la population du monde en développement vivra dans les villes. Ainsi, la demande en matière de transport urbain et de mobilité urbaine augmentera considérablement. La nécessité d’augmenter la part modale des transports publics afin d’éviter les effets négatifs de l’augmentation de la motorisation à mesure que la population s’enrichit et que l’urbanisation des villes augmente, est l’un des défis des prochaines décennies.
La demande croissante de transport urbain, lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’une offre de service adéquate génère une utilisation croissante de la voiture individuelle. Les conséquences sur l’efficacité économique des grandes villes, ainsi que sur la santé et le bien-être de leurs habitants sont néfastes : la congestion automobile, la pollution de l’air, les émissions de gaz à effet de serre, les accidents de la circulation et l’augmentation rapide de la facture énergétique sont devenus de préoccupations de premier ordre pour les décideurs publics.
Dans ce contexte, de nombreux pays ont pris des engagements sur le changement climatique au niveau international, avec l’accord de Paris en 2015 et par le biais de leurs contributions nationales. Pour s’y conformer, nombre de pays cherchent des moyens d’améliorer l’efficacité de leurs villes et de leurs transports publics urbains afin de réduire leur impact sur l’environnement. Il est urgent d’agir, en particulier dans les villes intermédiaires, où, d’après les projections, la croissance démographique interviendra principalement dans les 20 prochaines années, afin d’éviter de générer les même problèmes que celui rencontré dans les grandes villes et métropoles aujourd’hui. À cet égard, non seulement le système de transport lui-même, mais aussi la coordination de la planification urbaine et de la planification des transports seront essentiels pour construire des villes vivables.
La mobilité urbaine est un défi certain pour les autorités nationales et locales car il s’agit d’une question complexe et multidimensionnelle. Elle touche à de nombreuses sujets en dehors du transport lui-même, telles que l’utilisation des sols, l’énergie, la santé, l’environnement…. Un système de transport urbain efficace est essentiel pour les habitants des villes et leur qualité de vie, car il permet d’accroître l’accessibilité aux opportunités d’emploi, à l’éducation, à la santé et aux équipements de loisirs.
Cependant, le financement est un problème majeur tant pour les investissements que pour leur fonctionnement. Pour toute autorité publique en charge des transports, disposer de sources de revenus stables est un atout majeur car cela lui donne une plus grande capacité d’investissement et d’anticipation. Les ressources les plus courantes dans les pays les plus développés sont les tarifs payés par les usagers, les subventions publiques, les taxes sur les carburants, sur la possession d’une voiture et les recettes publicitaires. Au contraire, dans la plupart des pays en développement, les transports urbains doivent s’autofinancer, les subventions publiques n’étant pas une option envisageable. Les opérateurs de transports doivent financer leur fonctionnement exclusivement par les tarifs mais comme ils sont rarement autorisés par les pouvoirs publics à augmenter ceux-ci, ils ont parfois tendance à laisser la qualité du service se dégrader et la fréquence des services s’amoindrir. Au début des années 1970, époque où de nouvelles infrastructures de transport public importantes étaient nécessaires pour l’Île-de-France, le gouvernement français a créé un nouvel impôt dédié aux transports urbains. Le Versement Transport (renommé en 2020 « Versement Mobilité » et abrégé dans cet article en « VM ») a été créée par la loi du 12 juillet 1971 en Ile-de-France, sous-tendue par l’idée que les réseaux de transport ne devaient pas uniquement être financés par les usagers, mais aussi par les employeurs – entreprises et services administratifs – qui, directement ou indirectement, en bénéficient, car un bon réseau de transport permet aux employeurs d’élargir leurs possibilités de recrutement et d’améliorer les conditions de transport de leurs employés et clients.
Le Versement Mobilité a été généralisée à l’ensemble de la France en 1973, à la demande de la représentation nationale, et constitue aujourd’hui la principale source de financement de la mobilité urbaine. Selon le Groupement des Autorités Régulatrices de Transport (GART), en 2017, la collecte du VM s’élevait à 8,5 milliards d’euros (4,25 milliards en région parisienne et 4,3 millions dans le reste du pays, ce qui représente environ 42 % du financement de l’exploitation – en région parisienne et environ 47 % de l’investissement et de l’exploitation dans le reste de la France). Face à la nécessité de trouver des ressources pour financer les transports urbains et la mobilité, du fait des contraintes des finances publiques, dans tous les pays mais principalement dans les pays en développement, certains ont envisagé de créer un impôt inspiré du VM. Cet article a pour objet de décrire le VM : son architecture juridique, ses avantages et inconvénients aux yeux des acteurs du transport public et d’examiner les conditions dans lesquelles il pourrait être adapté et crée dans d’autres pays.
Le cadre légal
Création et étendue du VM
Qui décide de mettre en place le Versement Mobilité et comment ?
La décision de créer le VM est prise localement par une délibération du conseil d’administration de l’Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM). En 2020, 259 sur 317 Autorités de la mobilité urbaine avaient créé un VM sur leur périmètre de compétence, constitué des territoires des municipalités ayant choisi de faire partie de l’Autorité. L’Île-de-France fait exception à cette règle géographique puisque l’autorité organisatrice de la mobilité (IDFM – Ile de France Mobilité) a compétence sur l’ensemble de la région parisienne de par son décret de création.
Qui sont les assujettis ?
Le VM est payée par les employeurs dont l’entreprise est située dans les limites géographiques d’une AOM. Depuis le 1er janvier 2016, sont assujetties les entreprises privées, ainsi que les administrations et agences, employant au moins 11 travailleurs. Les débats parlementaires, lors de la création de l’impôt indiquent qu’un seuil avait été mis en place afin de ne pas assujettir les plus petites entreprises, jugées économiquement fragiles. Sa récente modification en 2016 a été initiée par une volonté de simplifier les procédures pour les entreprises en harmonisant les seuils sociaux, et d’encourager les petites et moyennes entreprises à recruter de nouveaux employés sans craindre une augmentation de leurs impôts.
Taux du VM
Les employeurs acquittent un pourcentage de la masse salariale qui est appliqué à la masse salariale totale de l’entreprise. Ce pourcentage varie en fonction de l’autorité de mobilité urbaine dans laquelle l’entreprise est située et de son niveau de population.
Le cas spécifique de la région parisienne
En Ile-de-France, des taux différents existent en fonction du niveau d’urbanisation des 7 départements composant la Région. Ainsi, trois taux sont appliqués depuis le 1er avril 2017[2] : 2,95 % dans la Ville de Paris et le département des Hauts de Seine, 2,12 % dans les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, 2,01 % dans les communes des autres départements figurant sur une liste fixée par décret, et 1,6 % dans les autres départements.
Le tableau suivant présente la situation en Ile-de-France. On notera que les taux ont été régulièrement modifiés depuis 2015.
En dehors de l’Ile-de-France, l’Etat a fixé par décret des taux plafonds en fonction du niveau de population et des caractéristiques de transport des Autorités.
Taux du VM en région parisienne
Départements de la région parisienne | Plafonds des taux entre 2012 et 2014[3] | Plafonds des taux en 2015 et 2016[4]
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Plafonds des taux du 1er avril 2017[5] au 1er juillet 2018
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Plafonds des taux du 1er juillet 2018 au 1er janvier 2019 | Plafonds des taux du 1er janvier 2019 au 1er janvier 2020 | Plafonds des taux du 1er janvier 2020 au 1er Janvier 2021 | Plafonds des taux depuis le 1er janvier 2021 |
Ville de Paris et Hauts‐de‐Seine | 2.7% | 2.85% | 2.95% | 2.95% | 2.95% | 2.95% | 2.95% |
Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne | / | / | 2.12% | 2.33% | 2.54% | 2.74% | 2.95% |
Municipalités mentionnées dans le décret gouvernemental | 1.8% | 1.91% | 2.01% | 2.01% | 2.01% | 2.01% | 2.01% |
Autres municipalités de la région parisienne | 1.5% | 1.5% | 1.6% | 1.60% | 1.6% | 1.60% | 1.6% |
Taux appliqués dans les autres régions
Les tarifs sont décidés par chaque Autorité de mobilité urbaine dans les limites des plafonds fixés par décret. Ils varient en fonction de la population demeurant dans le périmètre de l’autorité, comme indiqué dans le tableau ci-dessous.
Taux applicables en dehors de la région parisienne | Droit commun | Taux quand le transport est organisé par une structure de coopération intercommunale (+0.05%) | Bonus pour les municipalités touristiques
(+0.2%) |
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Municipalités de plus de 100 000 habitants | Avec TCSP
|
1,75% | 1,80% | 2,00% |
Avec TCSP
|
1,00% | 1,05% | 1,25% | |
Municipalités de 50 à 100 000 habitants
|
Avec TCSP
|
0,85% | 0,90% | 1,10% |
Avec TCSP
|
0,55% | 0,60% | 0,80% | |
Municipalités de 10 000 à 50 000 habitants | 0,55% | 0,60% | 0,80% | |
Municipalités de moins de 10 000 habitants (comprenant au moins une municipalité touristique) | 0,55% |
Les taux peuvent être majorés dans trois cas :
- Lorsqu’un mode de transport urbain en site propre (TCSP) existe ou sa création est envisagé par l’AOM;
- Lorsqu’il s’agit d’une zone touristique et que les besoins en matière de transport varient fortement en fonction de la période de l’année ;
- Lorsque la mobilité est organisée par une structure de coopération intercommunale. Le taux peut alors être augmenté de 0,05 %.
Le tableau ci-après présente la situation s’agissant des taux choisis par les Autorités en France métropolitaine.
Pourcentage des autorités de transport ayant fixé le taux du VM au maximum légal en 2017
Taux = plafond* | Taux < plafond | |
Autorités de plus de 400 000 habitants et disposant d’un métro | 92% | 8% |
Autorités avec moins de 400 000 habitants et disposant d’un métro | 88% | 12% |
Autorités de plus de 200 000 habitants | 33% | 67% |
Autorités de 100 à 200 000 habitants | 45% | 55% |
Autorités de 50 à 100 000 habitants | 63% | 37% |
Autorités de moins de 50 000 habitants | 49% | 51% |
Total | 56% | 44% |
Source : GART.
Il faut noter que toutes les Autorités de Mobilité Urbaine de plus de 100 000 habitants situées en France métropolitaine ont fixé leur taux de VM au plafond légalement autorisé, alors que seulement 70 % de celles de moins de 100 000 habitants l’ont fait.
Par ailleurs depuis 2008, les périmètres de transport ont augmenté de plus de 40 % alors que la population desservie par les réseaux de transport n’a augmenté que de 7 %. Dans le même temps, les recettes voyageurs et le VM n’ont pas augmenté en conséquence, ce qui limite les ressources des autorités. Une majorité des Autorités ont fixé leur taux de VM au plafond légalement autorisé et doivent rechercher de nouvelles ressources lorsque nécessaire.
Face à la question de la recherche de nouvelles ressources financières, de nombreuses autorités demandent régulièrement à l’Etat de relever les plafonds du VM. L’Etat y est peu favorable afin d’éviter d’accroitre la pression fiscale sur les employeurs, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Aussi, un nombre croissant d’Autorités ont choisi d’augmenter les tarifs de leurs réseaux de transports.
L’affectation du VM à la mobilité urbaine
Le VM est spécifique dans la mesure ou son produit est affecté à la mobilité urbaine. En règle générale, les impôts sont affectés au budget général de l’Etat ou des collectivités locales, en vertu du principe de non-affectation budgétaire. Le VM est affecté directement au « budget transport » des autorités locales en charge de la mobilité et peut être utilisée pour financer[6] les investissements et le fonctionnement.
Depuis 2014, la loi indique clairement quelles actions peuvent relever du champ d’action d’une AOM. Il s’agit notamment :
- De l’organisation, dans le périmètre de l’autorité organisatrice des transports urbains, de services de transport régulier de voyageurs et de services de transport à la demande (article L. 1231-1 du code des transports) ;
- Du développement des transports non motorisés, du covoiturage et de l’auto-partage (art. L. 1231-1, L. 1231-15) ;
- De la réduction de la congestion du trafic et de la pollution par la mise en place d’un service de fret et de logistique urbaine (art. L. 1231-1) ;
- De la mise en place de services d’information des passagers (art. L. 1231-8) ;
- De l’organisation de services de vélos en libre-service (., Art. L. 1231-16) ;
- …
Le recouvrement du VM
Le VM est recouvré par les « Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales » – « URSSAF ». Lors de la création de l’impôt, le gouvernement et les députés ont estimé que le moyen le plus efficace de le collecter était de s’appuyer sur ce réseau de collecte existant auquel les entreprises étaient habituées et avec lequel elles étaient déjà en contact. Les montants du VM sont collectés localement par les URSSAF, tous les mois ou tous les trois mois[7], à la discrétion de chaque employeur. Les montants collectés sont centralisés au niveau national par l’agence centrale nationale (ACOSS). Cette dernière transfère ensuite le montant correspondant à chaque AOM, en retenant 1 % de frais de gestion.
Les URSSAF rencontrent plusieurs types de difficultés dans la gestion du VM. Tout d’abord, les AOM peuvent décider d’en changer les taux, par l’adoption d’une délibération de leur conseil d’administration, et les URSSAF doivent alors mettre en œuvre ces changements. Depuis 2015, les changements de taux ne sont pris en compte que deux fois par an pour simplifier la gestion. Par ailleurs, le périmètre d’une autorité ne correspond pas toujours exactement à celui des URSSAF, notamment quand le champ géographique d’une Autorité est située sur deux départements.
Le recouvrement du VM est éligible aux mêmes types de contrôles que ceux qui existent pour les autres impôts acquittés par les entreprises pour financer la sécurité sociale : contrôles internes, contrôles du ministère des affaires sociales et de la Cour des comptes. En cas de désaccord sur la gestion et le paiement de l’impôt, les contentieux relèvent de la juridiction des affaires sociales dirigée par la Cour de cassation et dans certains cas de la justice administrative. Les conflits sont fréquents car le VM, est un impôt complexe à gérer en raison de ses nombreuses composantes. Des désaccords surviennent souvent, concernant le nombre d’employés, qui assujetti à l’impôt, ou la définition d’un employeur et d’un employé. Les exemptions légales de paiement de la taxe génèrent également des désaccords.
Exonérations du VM
Exonération des fondations d’utilité publique et des associations
La loi prévoit une exemption du VM pour les fondations et associations d’utilité publique, mais uniquement pour celles qui répondent à trois critères :
- Etre officiellement reconnues d’utilité publique par l’Etat;
- Etre une structure à but non lucratif ;
- Fournir un service social à la communauté.
Les exemptions ne sont pas automatiques. les fondations et associations qui prétendent remplir ces critères doivent en faire la demande auprès de l’AOM. Si l’exemption est acceptée, l’Autorité adoptera une délibération d’exemption lors de son conseil d’administration. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’une fondation ou une association sera légalement exemptée d’acquitter le VM.
Un mécanisme d’assujettissement progressif
Afin de lisser l’impact de la taxe sur les entreprises lorsqu’elles dépassent le niveau de 11 employés, le Parlement a créé un mécanisme progressif[8]. Ce mécanisme allège la charge du VM pour les petites entreprises qui recrutent du personnel au cours des 6 premières années. Les entreprises ne paient pas le VM pendant les trois premières années, pendant les trois années suivantes, leur contribution au VM augmente progressivement en passant graduellement de 25%, à 50% puis 75%. La septième année, le taux est appliqué dans sa totalité. Cela nécessite un suivi très personnalisé de chaque entreprise de la part de l’URSSAF, qui rend la gestion plus complexe.
Employés logés et/ou transportés
Les autorités organisatrices de mobilité doivent rembourser les employeurs qui peuvent prouver qu’ils logent et/ou transportent leurs employés[9]. Pour obtenir un remboursement, un employeur doit prouver à l’autorité que :
- Ses employés disposent d’un logement permanent et gratuit, à distance de marche de leur lieu de travail ; ou
- Qu’ils bénéficient de services de transport gratuits, d’un point de ramassage situé à distance de marche de leur domicile à leur lieu de travail.
Le produit du VM
Le produit total du VM dépend du nombre d’entreprises et d’administrations situées dans le ressort géographique des AOM et de la situation économique générale et varie au fil du temps. Le VM peut être décrit comme un impôt dynamique, son produit ayant augmenté au fil des ans en raison de plusieurs facteurs :
- Les taux maximums autorisés ont été progressivement augmentés par le gouvernement pour tenir compte de la création de systèmes de transport en commun ;
- Les périmètres des Autorités se sont élargis au fil des ans, au fur et à mesure du développement de la coopération intercommunale et de l’urbanisation;
- L’emploi et les salaires élevés sont principalement concentrés dans les grandes zones urbaines et donc dans le périmètre des AOM.
Le produit total du VM s’est élevé à 8,5 milliards d’euros en 2017, soit une augmentation de plus de 10 % depuis 2013. Le montant collecté en Ile-de-France a été de 4,25 milliards (ce qui représente environ 42% des dépenses de fonctionnement du transport urbain) et de 4,3 dans les autres régions. Ceci s’explique par le rôle économique de l’Ile-de-France qui concentre environ 20 % de la population française et 25% des emplois. Les 4,3 milliards d’euros collectés dans les autres régions et ont contribué à hauteur de 47% au financement des transports publics, tant pour les investissements que pour l’exploitation. Comme les recettes sont très liées au dynamisme économique de la région concernée, les villes bénéficient de rendements du VM différents. Par exemple, Toulouse, Nantes et Lyon, qui ont un tissu économique dense, ont une collecte du VM par habitant de respectivement, 121€, 119€ et 117€. Au contraire, Nice, Marseille et Montpellier collectent respectivement 67€, 79€ et 95€. Si l’on considère les zones urbaines par taille, les chiffres montrent que les recettes du VM sont plus importantes dans les grands centres urbains que dans les plus petits.
Point de vue des parties prenantes
Les employeurs, la Cour des comptes, mais aussi les AOM sont les principaux acteurs concernés par le VM et son efficacité. Leurs points de vue sont de ce fait intéressant pour l’évaluer.
Le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF), la plus grande fédération patronale, reconnaît les aspects positifs du VM ainsi que les avantages de disposer d’une offre de transport public de qualité pour soutenir l’activité économique. Le MEDEF considère toutefois que le niveau du VM est trop élevé et le financement provenant des recettes voyageurs trop faible. Comme le VM est principalement payée par les entreprises, le MEDEF considère qu’il entrave leur compétitivité et que ses taux augmentent trop souvent.
En outre, le MEDEF souligne que depuis 2009, les entreprises sont tenues de rembourser à leurs employés 50 % de leur abonnement mensuel de transport pour l’ensemble de la France (avant cette date, seules les entreprises situées en région parisienne avaient cette obligation). En d’autres termes, selon le MEDEF, les entreprises doivent financer deux fois les prestations de transport public : par le biais du VM et par le biais du remboursement des abonnements mensuels de transport public souscrits par leurs employés.
Une autre critique mise en avant par le MEDEF est que, comme le VM génère des revenus importants, il peut inciter les AOM à ne pas faire suffisamment évoluer les tarifs voyageurs voire à offrir la gratuité des transports, comme c’est déjà le cas dans certaines villes. En outre, il souligne que les entreprises financent un service de transport que leurs employés n’utilisent pas nécessairement pour se rendre au travail. Si 43% des travailleurs font la navette en transports publics en région parisienne, seuls 8% le font dans le reste de la France (INSEE 2017). Comme les entreprises paient par l’intermédiaire du VM pour les transports publics, le MEDEF suggère d’être associé au processus de décision avec les autorités de transport. Il appelle également à un débat sur le financement des transports publics et sur les besoins de transport des petites et moyennes villes et demande qu’un audit indépendant sur l’efficacité du VM soit réalisé.
La Cour des Comptes a souligné dans son rapport annuel de 2015 la nécessité d’équilibrer le financement des transports publics urbains. Elle a noté que les tarifs payés par les usagers, représentent en moyenne 28% des coûts d’exploitation des transports publics urbains, soit 7 points de moins que dix ans auparavant, voire moins dans les municipalités de moins de 250 000 habitants. Selon la Cour des comptes, en raison de l’existence du VM, les tarifs demandés aux usagers peuvent parfois ne pas être au niveau auquel ils devraient être, ce qui soulève des questions concernant la participation des citoyens au financement des transports publics et le partage équitable de la charge entre contribuables et les usagers. Dans son rapport de 2015, la Cour des Comptes a également indiqué qu’elle considérait que le VM était à son niveau maximal et que la recherche d’un nouvel équilibre nécessitait de rationaliser les transports publics et d’augmenter les autres recettes.
Aucune position générique en tant que telle n’est exprimée par les autorités de mobilité urbaine ou leur association nationale, le GART. Cependant, le GART est pleinement convaincu de l’importance du VM et le soutient. Pour le GART et ses membres, le VM est une ressource essentielle qui renforce la politique de transport public local. Depuis le désengagement de l’Etat dans les transports urbains au cours des années 1980 et le transfert des responsabilités aux autorités locales, le VM est apprécié par les autorités locales élues, car il contribue à mettre en perspective les besoins des usagers et les questions de développement local. Le GART a fait part de ses inquiétudes quant à toute modification qui affecterait négativement le VM et notamment exprimé ses préoccupations concernant la modification portant de 9 à 11 le seuil du nombre d’employés et demandé que la différence de recettes en résultant soit compensée aux autorités.
Analyse critique du VM
Les aspects positifs du VM ne doivent pas être mésestimés. Depuis sa création, il a contribué de manière significative à la modernisation et à l’expansion des réseaux de transport public en France et il a probablement contribué à réduire les niveaux de pollution atmosphérique dans les zones urbaines en favorisant les transports publics. Aujourd’hui, le VM constitue la principale ressource des autorités de la mobilite et il leur donne une visibilité sur leurs recettes dans les années à venir, même si son produit varie en fonction du contexte économique. Les décideurs en matière de transport peuvent donc planifier plus facilement, ce qui, selon les représentants locaux rencontrés, peut être une source d’économies comme par exemple lors de l’achat de matériel roulant qui peut être anticipée.
Le VM présente l’avantage d’être décidé, collecté et utilisé localement. Il peut ainsi être adapté au contexte et aux besoins locaux. Son taux, ses avantages et son utilisation sont plus ainsi plus faciles à expliquer aux contribuables. Enfin, le VM permet aux autorités locales de faire bénéficier les usagers des réseaux de transport aux tarifs relativement bas. Les comparaisons internationales montrent que les réseaux de transport en France offrent des tarifs compétitifs par rapport à ceux des autres pays. Comme mentionné ci-dessus, le VM fait l’objet de critiques. Il est considéré par certains comme une charge supplémentaire pour les entreprises sans contrepartie parfois, si elles sont situées en limite du périmètre de transports urbains et par d’autres comme manquant d’efficacité. Sur le plan politique, certains suggèrent de le supprimer afin d’alléger la pression fiscale sur le secteur privé et ce point de vue semble gagner du terrain.
Le VM est un moyen de financer les transports publics qui a eu beaucoup d’avantages depuis sa création s’agissant du développement des transports publics et a relativement bien fonctionné en France. Toutefois, les critiques croissantes dont il fait l’objet, les récents développements sur le changement climatique, le débat sur la gratuité des transports et les conséquences du Covid19 militent pour qu’une réflexion d’ensemble ait lieu sur ce que pourrait être un nouveau modèle économique pour financer la mobilité urbaine, dont le VM peut faire partie intégrante.
La question de sa réplicabilité dans d’autres pays pose question. Le VM pourrait-il être mis en œuvre dans d’autres pays, le cas échéant, sous quelle forme ? Les développements ci-après ont pour objet d’envisager les difficultés et les conditions de création d’une une taxe similaire au VM dans d’autres pays, en particulier – mais pas exclusivement – dans les pays en développement.
Mettre en place le VM dans d’autres pays : difficultés et prérequis
Dans de nombreux pays, les autorités nationales et locales sont à la recherche de nouvelles ressources pour financer la mobilité, hors financements publics. La question de savoir si une sorte de VM pourrait être crée revient régulièrement. A ce jour, il n’existe aucun autre exemple dans le monde d’un impôt similaire. Cette question est d’autant plus pertinente que les préoccupations liées au changement climatique, au coût de la congestion et de la pollution, donnent un nouvel élan au transport public et à la recherche de nouvelles ressources pour le développer et augmenter sa part modale. À cet égard, le VM, même s’il a été créé il y a près de 50 ans, apparaît comme une taxe moderne sous-tendue par l’idée que tous ceux qui bénéficient d’un bon réseau de transport public doivent contribuer à son financement. La création d’un VM, qui est un impôt complexe à gérer, dans un pays en développement nécessiterait que certaines conditions générales soient remplies.
Comme mentionné ci-dessus, la création du VM est intervenue en période de prospérité économique, alors qu’il était urgent de financer de nouvelles infrastructures de transport en Ile-de-France. La croissance économique, ou/et l’urgence, pourrait donc favoriser l’acceptation sociale d’un nouvel impôt. Sa création nécessitera une volonté politique forte ainsi que de faire preuve de pédagogie afin d’amener tous les acteurs à s’impliquer, non pas tant au niveau national, car il s’agit de mettre en place un cadre législatif, qu’au niveau local, si la décision de créer le VM y est prise.
Au niveau national et local, la question devrait probablement être présentée et expliquée dans un contexte plus large que le simple financement des transports et de la mobilité urbaine. Il s’agit d’une question urbaine au sens large car l’amélioration de la mobilité grâce au VM a des effets positifs sur le fonctionnement des villes, leur croissance (grâce à la réduction des coûts de congestion), les coûts des dépenses de santé (grâce à la réduction de la pollution) et l’accès des citoyens aux possibilités d’emploi, à la santé et à l’éducation.
L’explication et la communication seront également essentielles. À cet égard, il peut être utile de souligner les différences de traitement réservé aux voitures et aux transports publics. Les voitures bénéficient souvent d’avantages cachés par rapport aux transports publics, qui sont souvent passes sous silence: elles ne paient généralement pas le coût de la construction et de l’entretien des routes, du stationnement… Des campagnes de communication à l’intention des entreprises, des utilisateurs de voitures, des usagers des transports publics et des citoyens seront à mener afin de mettre les choses en perspective et faciliter l’acceptation du VM.
Le VM étant un impôt, un certain degré d’acceptation par les citoyens et les entreprises s’avère nécessaire. Pour y parvenir, des explications sur sa nature et sur ses contreparties en termes de niveau et de qualité des services de transport sont nécessaires. À cet égard, il pourrait être plus facilement accepté si le pays qui la met en place décide, comme dans le cas de la France, qu’il sera créé au niveau local, où les contreparties sont plus aisément visibles et les parties prenantes plus facilement identifiées, une fois qu’un cadre national aura été établi. Si les entreprises doivent acquitter un nouvel impôt, leurs employés et les citoyens, dans leur ensemble, devraient bénéficier et sentir qu’ils bénéficient, de l’amélioration des infrastructures et des services de transport.
Le VM sera d’autant plus facilement mis en place si l’évasion fiscale dans le pays est faible ou inexistante et si la société dans son ensemble respecte généralement les lois. Un point doit être souligné, si la création du VM est envisagée dans un pays en développement, l’existence d’un secteur informel aura un impact. L’introduction du VM ne doit pas introduire plus de disparité entre le secteur formel et le secteur informel. Ainsi, si le secteur informel est important, la création du VM pourrait générer des disparités, à moins que, par exemple, seules les grandes entreprises soient imposées.
En dehors des conditions générales à remplir concernant le contexte, il conviendra de répondre à certaines questions :
- Qui décidera de créer le VM et sur quel périmètre sera-t-il mis en œuvre ? Comme indiqué précédemment, le VM est un impôt local, or les pays en développement ont tendance à être fiscalement centralisés. Si beaucoup d’entre eux ont lancé des processus de décentralisation administrative, cela s’est souvent traduit par une décentralisation des compétences, mais pas toujours des budgets ou impôts qui vont avec. Il importe également qu’un système de collecte des impôts adéquat existe, ou soit mis en place, pour gérer le VM qui est un impôt complexe par sa sophistication. Or, dans de nombreux pays, les systèmes de recouvrement des impôts ne sont pas totalement efficaces. La nécessité d’affecter le produit des fonds aux transports publics et à la mobilité sera également cruciale, ce qui soulève la question des organismes gouvernementaux responsables et de leur appréhension des questions de mobilité.
Plusieurs options peuvent être imaginées, l’une d’entre elles étant que, dans un premier temps, le VM soit créé au niveau national, avec ou sans l’accord des autorités locales. Dans un deuxième temps, lorsque la décentralisation serait plus poussée, sa gestion pourrait être transférée aux autorités locales. L’association des autorités locales au processus de décision sur la gestion du VM pourrait être un moyen de préparer l’étape de la décentralisation. En attendant, le VM pourrait servir à financer un fonds national de transport qui serait utilisé pour financer les infrastructures et le fonctionnement des services de transport dans tout le pays.
- En ce qui concerne le champ d’application du VM, chaque pays devra décider s’il veut assujettir toutes les entreprises ou celles qui dépassent un certain niveau de salariés afin d’exclure les petites entreprises considérées comme les plus fragiles. La non-imposition des petites entreprises de moins de 9 salariés, a été très débattue au Parlement français lors de la création du VM, car elle ajoute un niveau de complexité à la gestion de l’impôt. Si un pays décide d’opter pour une telle solution, cela augmentera la difficulté de gestion et les juges, devront faire face à des questions telles que celles de savoir qui peut être considéré comme un salarié. Les pays en développement pourraient envisager des critères différents en se basant sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires des entreprises.
- Quel que soit le système choisi, les décideurs politiques pourraient trouver utile de prévoir des exemptions, comme celle votée par le Parlement français en 1971 pour certaines nouvelles zones urbaines. Lors des débats parlementaires, les villes nouvelles autour de Paris furent exemptées, afin de favoriser un transfert des lieux de travail du centre de Paris vers la banlieue et de réduire ainsi les trajets de la banlieue vers la capitale. Le VM pourrait être utilisé afin de tenter d’influer sur le développement urbain et pour réduire le besoin de déplacements en favorisant le rapprochant entre zones d’emploi et zones de logement.
- S’agissant des taux de l’impôt, des taux faibles pourraient être envisages, au moins dans un premier temps, afin de favoriser son acceptation.
- Chaque pays devra déterminer l’utilisation qu’il souhaite faire des fonds collectes, en fonction de ses besoins en matière de transport. Les débats au Parlement français en 1971 indiquent clairement que l’idée était de compenser les déficits des opérateurs de transport en Ile-de-France, mais aussi de financer de nouveaux investissements.
- Comme les pays en transition cherchent souvent un moyen de financer le fonctionnement afin d’obtenir une bonne qualité de service, il semblerait opportun que la taxe sur les transports finance à la fois l’infrastructure et l’exploitation.
Conclusion
Le VM a permis le renouvellement des transports publics en France. Cependant, il est complexe à gérer en raison de ses nombreuses caractéristiques. Le VM nécessite un système de collecte efficace et un système judiciaire efficace en cas de litige. Son adaptation à un autre pays nécessite certaines conditions qui seront probablement plus facilement atteintes plus le pays sera développé. Un des avantages du VM pour les pays en transition serait de régler le débat sur les subventions aux opérateurs de transport. La plupart d’entre eux ne financent pas les transports publics, principalement par manque de ressources, malgré les conséquences sur l’étendue et la qualité du service offert aux passagers.
Alors qu’à l’époque de sa création, le VM était centré sur les transports, les questions climatiques étant aujourd’hui au premier plan, il apparaît comme une taxe moderne dont la création pourrait se justifier dans ce contexte. En la matière, comme dans beaucoup d’autres domaines, chaque pays a ses traditions et ses spécificités et doit inventer son propre modèle même si s’inspirer des autres pays est un moyen d’y parvenir. Ce qui a été mis en place en France ne peut être utilisé que pour avoir une idée de ce qui pourrait être fait, plutôt que de ce qui devrait être fait.
Quel que soit le pays considéré, la question du changement climatique, le développement de nouveau modes de transport, le débat sur la gratuité des transports et les conséquences de la crise du Covid 19 militent pour une approche large du financement des transports urbains, et non simplement sur la création éventuelle d’un VM, et sur ce que pourrait être un nouveau modèle économique pour financer la mobilité urbaine, dont le VM pourrait faire partie.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier les experts suivants qui ont fourni des informations, répondu aux question et fait des suggestions : Jean Louis Rey, Directeur (ACOSS) et Samuel Zapata (ACOSS), Benjamin Croze, DGITM, (Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire), Guy Lebras, Directeur (GART), Benjamin Marcus, Florence Dujardin, Chloé Diamédo and Célina Sabatier (GART), Julien Allaire et Jean Jacques Helluin (CODATU), Bernard Rivalta (ancien directeur du SYTRAL, Lyon), Thierry Gouin (CEREMA/CERTU), Jean Christophe Monnet (IDFM, Paris), Maria Eugenia Martinez Mansilla (consultante), Arturo Ardila Gomez, Georges Darido (Banque Mondiale).
Bibliographie
Ardila Gomez, Arturo, Ortegon-Sanchez, Adriana- Sustainable Urban Transport Financing from the Sidewalk to the Subway : Capital, Operations, and Maintenance Financing; Banque mondiale (2016)
CCI – Chambre de Commerce et d´Industrie Paris Ile-de-France (2016) Paris Regions Key Figures 2017. Available online at: https://www.cci-paris-idf.fr/etudes/organisation/crocis/chiffres-cles/chiffres-cles-region-ile-de-france-crocis [June 2017]
CODATU (2014) Who pays what for Urban Transport, handbook of good practices, 114 p. Available online at: https://collaboration.worldbank.org/docs/DOC-12070 [June 2017]
CEREMA (2014) Le versement transport : une contribution essentielle au financement des transports urbains, L´essentiel, CERTU, 12 p.
Bidoux P.-E., Caenen Y., Trigano L. (2017) Déplacements domicile-travail, INSEE Flash Ile-de-France, 16. Available online at: https://www.insee.fr/fr/statistiques/2555642#consulter [Februar 2018]
Cour des Comptes (2015) « Les transports publics urbains de voyageurs : un nouvel équilibre à rechercher », in Rapport public annuel. Available online: https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2015 [June 2017]
GART (2015) L’année 2013 des transports urbains, GART, Available online: https://www.gart.org/publication/lannee-2013-transports-urbains/ [February 2018]
MEDEF (2014) Financement des transports publics en Ile-de-France : concilier mobilité et compétivité. Internal working paper.
[1] Jusqu’en 2019, le versement mobilité (« VM ») était dénommé « versement transport » (VT).
[2] Loi de finances n°2016-1917 du 29 décembre 2016 – art. 91.
[3] Loi de finances n°2012-1509 du 29 décembre 2012 – art. 84
[4] Loi de finances n°2014-1655 of 29 décembre 2014 – art. 87
[5]Loi de finance n°2016-1917 du 29 décembre 2016 – art. 91
[6] Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014
[7] Les réformes récentes préconisent une base mensuelle.
[8] Act n°96-314 du 12 avril 1996 – CGCT, Art. L. 2333-64, L. 2531-2
[9] CGCT, Art. L. 2333-70, L. 2531-6