19 avril 2016

Réguler les transports artisanaux dans l’agglomération Jakartanaise: pourquoi, pour qui?

Réguler
les transports artisanaux dans l’agglomération Jakartanaise: pourquoi, pour qui?

Auteur: Rémi DESMOULIERE

Les transports artisanaux se distinguent des transports institutionnels et centralisés par les modalités particulières de leur développement : ils ne résultent pas d’un processus d’aménagement de l’espace urbain par les pouvoirs publics, mais sont au contraire le fruit d’initiatives spontanées portées par des individus ou des unités économiques de petite taille dans un contexte de faible intervention de l’Etat. Cette particularité se retrouve dans les rapports qu’entretiennent les acteurs du transport artisanal avec les dispositifs visant à réguler leur activité. À Jakarta, capitale indonésienne et région métropolitaine comptant aujourd’hui plus de 26 millions d’habitants, les différents échelons de gouvernement se sont fortement appuyés sur le secteur artisanal tout en cherchant à le contrôler par le biais d’un système de réglementations opérationnelles et de permis. Cette communication vise à appréhender les effets de ce système, en se concentrant sur les transports desservant des trajets fixes. L’hypothèse principale est que les dispositifs de régulation, conçus initialement comme des cadres, tendent à devenir des enjeux de contrôle pour les acteurs du transport artisanal. Cette analyse se fonde sur des observations et des entretiens menés en septembre 2014 puis entre mars et juillet 2015 dans le district capital (DKI) de Jakarta et dans la municipalité de Bogor, située au sud de l’agglomération. Ces données de terrain sont complétées par des articles de presse, des textes législatifs et des documents relatifs au fonctionnement interne de coopératives de transport.

Dans un premier temps, la problématique de la régulation est confrontée à l’organisation interne du milieu du tranport artisanal. Les dispositifs de régulation voient leur efficacité limitée par le fonctionnement multiscalaire de ce milieu et par la relative marge d’autonomie dont disposent chacun de ses acteurs, de l’entrepreneur ou de la coopérative au chauffeur. Ce fonctionnement multiscalaire sera mis en évidence à partir des tentatives d’intégration de certaines lignes de transport artisanal au réseau institutionnel de bus à haut niveau de service, le Transjakarta, lancé en 2004. L’analyse se concentre ensuite sur un dispositif de régulation à caractère territorial, le permis de trajet (izin trayek). Ces permis, délivrés en nombre limité pour chaque ligne, sont présentés par les autorités régulatrices des transports comme un moyen d’assurer une couverture optimale de l’espace urbain et d’éviter une concurrence exacerbée entre les opérateurs. Toutefois, la saturation de la quasi-totalité des lignes, en particulier les plus rentables, s’est traduite par l’émergence d’un marché spéculatif où les permis de trajet s’achètent et se revendent entre opérateurs, tout en garantissant un revenu régulier aux autorités régulatrices à travers les frais de prolongation. La régulation n’aboutit donc pas forcément à une formalisation des relations qui unissent les acteurs du transport artisanal, elle peut au contraire cristalliser des relations informelles autour des marges d’incertitude qu’elle produit. Le dernier temps de l’analyse est consacré au processus de concentration de la gestion des transports artisanaux au sein de coopératives ou d’entreprises qui jouent le rôle d’intermédiaire entre les propriétaires de véhicules et les pouvoirs publics. Entamé dans les années 1970 avec une concentration de la gestion des midibus, et aujourd’hui quasiment accompli pour tous les transports artisanaux à ligne fixe dans le DKI Jakarta, ce processus est encore à l’œuvre dans les municipalités périphériques de l’agglomération, non sans susciter l’opposition des propriétaires de véhicules et des chauffeurs. Il pose la question du fonctionnement de ces organisations intermédiaires, promues par les pouvoirs publics à une fonction régulatrice et décisionnelle alors même qu’elles ne possèdent ni n’exploitent directement les véhicules.

Rémi DESMOULIERE